Du côté du Théâtre Français

« Guermantes » est un film sur un roman où grand-mère meurt. Un film sur le théâtre. Un film sur le cinéma. Un film sur les acteurs et les comédiens. Un film sur l’après-premier-confinement. Faux documentaire et vraie fiction, « Guermantes » invite à lire Proust, à flâner dans les jardins parisiens, à retourner au théâtre, à caresser l’amour.
 Le décor est d’emblée planté : théâtre Marigny, juin-juillet 2020. La troupe de la Comédie Française devrait continuer à répéter « Du côté de Guermantes », l’adaptation du troisième tome de « la Recherche » écrite et mise en scène par l’écrivain et réalisateur Christophe Honoré, dont les répétitions avaient été stoppées par le premier confinement. On apprend au tout début du film qu’il va falloir de nouveau arrêter les répétitions, car du fait des mesures sanitaires le comité a statué que pièce ne sera pas jouée. Le metteur en scène et les acteurs décident cependant, à tâtons, de «répéter dans l’absolu» : ils vont ainsi explorer les contours de la scène, du texte, de leurs rôles, et à certains égards de leurs vies. Continuer la lecture

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Révélation à Gaveau

La salle Gaveau, au 45-47 rue de La Boétie, porte le nom de l’inventeur français des pianos Gaveau, qui ouvrit cette belle salle à l’italienne en béton armé de 1000 places en 1907, où trônait un grand orgue Mutin-Cavaillé-Coll de 39 jeux. Dès son ouverture le 3 octobre 1907 pour le concert du «Lehrergesangverein» (Chœur des Professeurs de la ville de Brême réunissant cent-quarante exécutants selon Wikipédia, ah ces Allemands si musiciens), elle devient immédiatement un haut lieu musical grâce à son acoustique exceptionnelle, et les sommités s’y succèdent dès les premiers mois, de Camille Saint-Saëns à Alfred Cortot ou Pablo Casals. Les concerts Lamoureux s’y installent, et le défilé innombrable des sommités se poursuit jusqu’à la première et seconde guerres mondiales incluses. Pourtant, en 1963, un épisode balzacien mène à la faillite et à la vente du bâtiment à une compagnie d’assurance qui se réjouit d’y construire un parking. Un de plus… On s’en souvient, de ces fameuses années 1960, 1970, 1980, où les architectes ont massacré allègrement Paris en laissant les traces de ce qu’il y a de plus laid… Regardons, par exemple, la place Boieldieu ou place de l’Opéra Comique, non loin de l’Opéra Garnier, où le pire des bâtiments années 70 à hublots noirâtres s’affiche en face de l’élégante façade XIXème. Continuer la lecture

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Le chant d’amour d’Hugo à ses petits-enfants

Le Lucernaire a rendez-vous avec Hugo, un Hugo vieillissant qui aurait déposé les armes et troqué son habit d’homme de combat pour celui de doux grand-père rêveur. “Que voulez-vous ? L’enfant me tient en sa puissance ; / Je finis par ne plus aimer que l’innocence” nous confie le poète par l’intermédiaire de Jean-Claude Drouot, son double de théâtre. Les deux hommes nous invitent à porter un regard attendri sur l’enfance, à goûter une félicité amusée devant l’innocence du jeune âge. “L’art d’être grand-père”, le dernier recueil hugolien, est un grand chant d’amour de l’écrivain à ses deux petits-enfants, porté avec le talent qu’on lui connaît par le merveilleux Jean-Claude Drouot. Émotion et bonheur garantis. Continuer la lecture

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Paul Klee, quasiment primitif

S’il laissa sa trace dans la plupart des mouvements artistiques de la première moitié du XXe siècle (même les surréalistes le revendiquèrent comme un des leurs), Paul Klee se prétendait «libre comme la musique». La musique, chez lui, c’est une affaire de famille. Fils de musiciens professionnels, il fut lui-même violoniste dans l’orchestre de Berne, et son épouse Lily, rencontrée à l’âge de 20 ans, était connue comme excellente pianiste. Si, selon ses propres mots, cette musique joua tout au long de sa vie le rôle d’une «amante», ce sont pourtant les arts plastiques qui l’emportèrent. Continuer la lecture

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« Compartiment n°6 », une perle rare qui nous entraîne au bout du monde

« Compartiment n°6 », le film du finlandais Juho Kuosmanen a remporté le grand prix de Cannes 2021. Bien que ce petit bijou nous emmène au bout du monde, dans les froideurs de l’Oblast de Mourmansk, le voyage est avant tout initiatique. Ce film drôle et intelligent repose sur la rencontre improbable de deux êtres de culture et de classe sociale totalement différentes. Dans l’espace clos de leur compartiment couchette, ils vont se confronter, s’affronter pour apprendre à se connaître et à s’apprécier. Ils ont tous deux les émotions à fleur de peau et portent en étendard la curiosité de l’autre et de l’ailleurs qui va les connecter jusque dans les situations les plus cocasses. Continuer la lecture

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Algues en rade

Une cuisine avec vue sur mer, voilà l’entrée choisie par l’Aquarium de la Porte Dorée, afin d’illustrer son exposition sur les algues. Façon de démontrer aussi que ces plantes subaquatiques peuvent jouer un rôle dans notre alimentation, y compris pour parfumer la bière comme en témoigne un pack de trois bouteilles posé en évidence à droite. Le tout se situant dans une annexe car il ne pouvait à l’évidence être question de déranger le merveilleux aquarium proprement dit, juste à côté. À vrai dire tous les prétextes sont bons pour se rendre dans les sous-sols du palais où depuis 1931, la vie sous-marine enchante l’œil. Le spectacle y est bidirectionnel dans la mesure où l’on peut supposer que les pensionnaires à nageoires, alligators albinos et autres écrevisses, sont également spectateurs des humains qui pressent leur nez sur les vitres. Les algues étaient donc un bon motif de déplacement, peut-être meilleur que l’exposition Picasso dans les étages, car Picasso étant toujours partout, il peut bien attendre une prochaine visite. Continuer la lecture

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Au bloc

Tous les dimanches c’était la même chose. Sous prétexte qu’il avait été chirurgien, il lui incombait de découper le poulet ou le gigot, et jusqu’à la tarte aux fruits précédant les liqueurs. Il était pour ce faire, ce qu’il était convenu d’appeler l’homme idoine. Marc-Antoine se prêtait au jeu d’autant plus facilement qu’il appréciait plus que tout les repas dominicaux en famille. Y compris lorsqu’ils étaient troublés par des discussions politiques ou des différends de toutes sortes en plein milieu de la partie de bridge qui suivait traditionnellement le déjeuner. Tous les sujets étaient assez librement abordés. S’il s’agissait d’un problème d’héritage ou de divorce c’était le cousin Bernard, l’avocat, qui se voyait sollicité. Et concernant les questions de santé, de la vaccination du petit dernier aux varices de la vieille tante, c’était à lui Marc-Antoine que l’on s’adressait, pour donner un avis faisant autorité. Le tout sans que rien ne puisse vraiment tirer à conséquence, un dimanche chassant l’autre avec cette régularité exemplaire qui entretenait le plaisir des retrouvailles hebdomadaires. Continuer la lecture

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Léger cameraman

Lorsque qu’il a vu la possibilité de mettre au service d’un cinéma balbutiant son génie créatif, Fernand Léger ne s’est pas gêné, il a foncé. Conçu en 1924, « Ballet mécanique » est un film purement artistique, expérimental, avec des personnages mais sans comédiens, clairement revendiqué sans scénario traditionnel et faisant notamment appel à des photogrammes, c’est-à-dire des images photographiques réalisées sans objectif. Il s’achève au bout de dix-huit minutes sur une figure de Charlot en pantin désarticulé. Comment le peintre Fernand Léger, acteur majeur de l’art moderne, s’est-il frotté au monde du cinéma est une question qui a fait cette année l’objet d’un petit livre passionnant rédigé par François Albera, professeur honoraire à l’université de Lausanne et également rédacteur en chef de « 1895 Revue d’histoire du cinéma ». Continuer la lecture

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Un poème plane dans le plan

La séduction des anciennes peintures chinoises est due aux textes variés qu’elles contiennent, de l’indication pratique aux annotations poétiques. Sur deux au moins, présentées actuellement au musée Cernuschi via une animation féérique qui nous attend dès le vestibule, on peut en découvrir la simple et merveilleuse traduction. L’une dit: « Libres comme si nous chevauchions le vent. » Et sur l’autre il est écrit « Aussi légers que si nous avions quitté le monde des hommes. » Cette exposition, qui vient de débuter, s’intitule « Peintres hors du monde, moines et lettrés des dynasties Ming et Qing ». Soit cent chefs-d’œuvre venant de Hong Kong et collectés en son temps par l’amateur Ho lu-kwong (1907-2006). Il avait baptisé sa collection du nom de « Chih Lo Lou » soit en français, « Le pavillon de la félicité parfaite ». Ce qui laisse supposer qu’il est des félicités imparfaites, mais c’était sans doute une façon de mieux communiquer son enthousiasme. Sur ce plan-là, c’est réussi et le musée nous fait entrer de plain-pied dans un monde de raffinement dont nous ne nous soupçonnions pas privés à ce point. Continuer la lecture

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Folie et sagesse en royaume shakespearien

Georges Lavaudant monte aujourd’hui pour la troisième fois “Le Roi Lear”.  “Pièce monde” par excellence, selon les propres termes du metteur en scène, en cela qu’elle semble contenir le monde entier entre ses lignes, par la grande variété des thèmes qu’elle aborde, il semble, par conséquent, impossible de ne pas y revenir. Pour porter une pièce d’une telle dimension, rendre la richesse d’une telle écriture, il faut bien évidemment une traduction à la hauteur du texte original et des interprètes d’une belle trempe. C’est ici le cas. Jacques Weber, dans le rôle-titre, est tout simplement époustouflant. Un acteur monstre pour une pièce monde. Comédien au sommet de son art, il nous livre ici une de ces interprétations qui font date et donnent à ce moment de théâtre une rare grandeur. Continuer la lecture

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