Deux frères pour la vie

Partis de Pologne pour fuir la répression russe succédant à l’insurrection de 1848, l’ingénieur Aleksander Babinski et son épouse se réfugient à Paris. Le couple y donnera naissance à deux enfants, Henri (1855-1931), et Joseph (1857-1932/ci-contre), qui deviendront célèbres, chacun dans un genre différent. Joseph est évoqué par tout praticien chaque fois que, gratouillant avec une pointe la plante du pied d’un patient, il constate la lente ascension du gros orteil dénommée signe de Babinski. Ce réflexe cutané plantaire traduit l’atteinte du faisceau pyramidal de la moelle épinière en un endroit quelconque de son trajet. Joseph, donc, entreprend des études de médecine. À la fin de son internat, il cherche son avenir. Suite à un décès, un poste se libère dans l’équipe Charcot. Il postule, est accepté comme chef de clinique, et devient rapidement le disciple favori du patron. Continuer la lecture

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Cioran entre dans les cases

On peut se demander comment aurait réagi le philosophe disparu en 1995 en découvrant la BD qui vient de lui être consacrée sous le titre «On ne peut vivre qu’à Paris». Déjà il y a dix ans, un éditeur avait publié un curieux recueil présentant 32 aphorismes de Cioran traduits en… rébus (par Claude Balaré, chez Finitude). Cette fois, ce sont environ 80 aphorismes, dont un certain nombre d’inédits, qui se retrouvent transformés en phylactères dans de courtes bandes dessinées dont le seul personnage est Cioran lui-même. Le dessin est net, on n’est pas loin de la fameuse ligne claire de Hergé. Le philosophe roumain, grand marcheur, y déambule dans les lieux parisiens qu’il fréquentait régulièrement et que le dessinateur Patrice Reytier nous montre étonnamment déserts : le jardin du Luxembourg, les quais de la Seine, le cimetière du Père-Lachaise… Plus que de simples flâneries, il s’agit de déambulations méditatives d’où fusent des pensées tranchantes, des sentences qui refusent le développement ou, pire, l’exégèse. Continuer la lecture

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De Sèvres jusqu’au Canada en passant par la Patagonie

De vases en vases, de cruches en cruches et de pots en pots, les collections permanentes du Musée national de Céramique à Sèvres offrent dans leur domaine, un répertoire respectable. Ce pourquoi on ne peut manquer de remarquer ce buste quelque peu insolite en ce lieu, en terre cuite polychrome et représentant une « Gitane des Pyrénées ». La notice indique qu’il a été réalisé en 1840 et qu’il est dû à l’artiste Henry Cros (1840-1907). Lequel se trouve être le frère du poète et inventeur Charles Cros (1842-1888). Contactée, la responsable des collections de céramiques et du verre, nous explique que ce portrait, après avoir été exposé en 1882, a été intégré deux ans plus tard dans les collections du musée. Sonia Banting ajoute à l’adresse de cette Gitane que « le thème est sans doute lié au courant de bohème artistique alors en vogue. La bohème, les saltimbanques sont devenus au milieu du 19e siècle les symboles de la jeunesse anticonformiste, éprise de liberté, menant une vie sans contrainte », comme on va pouvoir le constater en tirant les ficelles invisibles. Continuer la lecture

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Dunoyer de Segonzac is back

Qui se souvient de Dunoyer de Segonzac ? Michel Charzat assurément. Sa biographie du peintre, qui fut célèbre et célébré en son temps, vient d’être publiée. Un beau livre, bien illustré, fourmillant d’informations, d’explications. Ne se laissant pas happer par les mouvements de l’avant-garde (on va parfois jusqu’à dire qu’il était l’«anti-Picasso», son à peu près exact contemporain), il peint et dessine des paysages, des natures mortes, des nus, des portraits. Il fera celui de Marcel Proust sur son lit de mort, ainsi que celui de Colette, et de bien d’autres. Il croque la vie, à l’huile, à l’aquarelle, à la plume, il dessine beaucoup, grave à l’eau forte, illustrera de nombreux livres. Il aime les couleurs sombres.
Pendant la guerre de 14, il est affecté à une section de camouflage nouvellement créée, qui rassemblait nombre d’artistes : Despiau, Vildrac, Forain, Landowski, Camoin et bien d’autres. Continuer la lecture

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Alberola, Kafka et Elisabeth

Jean-Michel Alberola, 68 ans, est décidément un artiste inclassable. Depuis une trentaine d’années, il est l’auteur d’une œuvre protéiforme qui articule figuration, abstraction et art conceptuel. Peintures, sculptures, néons, films, livres d’artistes… sont les différentes facettes d’une production artistique dans laquelle il a su développer une mythologie toute personnelle. Avec humour et poésie, l’artiste mêle, de façon plus ou moins allusive, des questionnements politiques et sociaux à des références littéraires et artistiques. Au “roi de rien”, mystérieux portrait aux pieds nus décliné depuis une quinzaine d’années, se sont dernièrement ajoutés, de manière quelque peu détournée, les figures de Kafka (1883-1924) et de la reine Elisabeth II. “Le roi de rien, la reine d’Angleterre et les autres”, sa nouvelle exposition à découvrir actuellement à la Galerie Templon, à Paris, ne manque pas, là encore, de nous séduire et de nous interroger tout à la fois. Continuer la lecture

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Balivernes de jardin

Frédéric II les fit venir des forêts de Thuringe. On l’avait instruit d’une particularité comportementale de ces petits êtres : une phénoménale propension au mouchardage.
Dispersés dans le parc de son château de Sans Souci, les gnomes informèrent le monarque de la vie cachée des bosquets et contre-allées, endroits où le courtisan volontiers manigance, où les couples transitoires se forment et se défont le temps d’un spasme. Les meilleurs historiens s’accordent à considérer que les nains de jardin surent l’éclairer du caractère nettement putassier de monsieur de Voltaire, expliquant ainsi la brouille qui s’ensuivit. De même que son père avait fixé la taille des soldats de sa garde personnelle, les fameux Géants de Postdam, à 1,88 mètre, le roi, par un rescrit de 1772, détermina l’uniforme et les conditions d’aptitude à la Königlichegartenzwergenbrigade (brigade royale des nains de jardin) : taille inférieure à 68 centimètres, du talon à la pointe du bonnet rouge, sourire béat, teint rose et longue barbe blanche. Continuer la lecture

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Festivals choisis

À moins que le coronavirus ne nous joue quelque mauvais tour in extremis ou chemin faisant, voici le grand retour cet été des festivals artistiques qui investissent la France entière, témoignant d’une passion très française. À commencer par «Paris, l’été» (depuis 1990) proposant du 12 juillet au 1er août un éventail de «grands rendez-vous artistiques et culturels» aussi bien au musée du Louvre qu’au lycée Jacques Decour ou à la Cité universitaire, entre autres festivités mêlant tous les arts.
Écoutons le grand écuyer poète Bartabas nous présenter le spectacle proposé en son Manège de la Grande Ecurie du Château de Versailles (outre la projection en plein air de son film «Les chevaux voyageurs» au théâtre Zingaro) : «Aujourd’hui, j’éprouve de plus en plus de plaisir à m’entretenir solitairement avec mes chevaux, très tôt le matin, avant la vie des hommes. C’est au lever du soleil, dans le silence et la concentration, que le corps et l’esprit sont le plus disponibles pour une écoute profonde. En tant qu’interprète, je suis à la recherche de ces moments de grâce, impossibles à reproduire.» Continuer la lecture

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Tout le chic de la gravure

« Metropolis » était à peine sorti sur les écrans qu’il inspira une œuvre profondément originale à l’artiste Pierre Gatier. D’abord par le traité moderne, gravure au burin et à la pointe sèche et ensuite parce qu’il avait surtout choisi de mettre en avant la salle où était projeté le film événement de Fritz Lang. C’est une spectatrice et une ouvreuse presque caricaturées qui font le premier plan (ci-contre) tandis qu’un feu d’artifice synthétique très identifiable occupe le second. L’imagier sage était pour l’occasion sorti de ses gonds ce qui n’était pas si courant. Pierre Gatier (1878-1944) fait l’objet actuellement d’une remarquable exposition au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de l’Isle-Adam dans le Val d’Oise. Rien de proprement révolutionnaire chez cet homme, mais les quelque 130 œuvres exposées nous convoquent néanmoins par leur élégance insigne, une matière qui aurait quelque peu tendance de nos jours à se raréfier. Continuer la lecture

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Les bons conseils de Maître Jacques

Il vécut au temps de la Révolution (1771-1842) mais ne professait pas pour autant des idées révolutionnaires. S’il laisse une trace dans l’histoire, c’est plus pour ses écrits en faveur du bien-être de ses contemporains agriculteurs pour lesquels il vouait une authentique passion. Né dans un village des Deux-Sèvres un premier janvier, Jacques Bujault, fils et petit-fils d’avocat, fut abord imprimeur puis avocat lui-même et, à ce titre, s’intéressa au sort des populations rurales, souffrant «de les voir ignorantes, routinières, parfois débauchées et chicanières». Son œuvre maîtresse fut «Le Grand Almanach du bon cultivateur», ouvrage qui devait se retrouver «sous le toit le plus obscur» afin «d’instruire et moraliser le cultivateur même le plus humble». Effectivement, le tirage de cet Almanach atteignit, nous dit-on, jusqu’à 500.000 exemplaires. Continuer la lecture

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Divas d’aujourd’hui et d’hier

Il suffit de l’entendre et de la voir pour se dire aussitôt, selon son degré de wagnérisme, «Voilà une Walkyrie !» ou «Voilà une Brunhilde ou une Isolde !». C’est exactement ce qui s’est passé, il y a six ans, au fameux concours international « Operalia » fondé par Placido Domingo en 1993 pour lancer les voix nouvelles, où l’on découvre chaque année les divas et divos du jour.
Écoutons un témoin, Clément Taillia, dans la revue «Forum Opera» le vendredi 26 mars 2021: «Il n’avait fallu rien de plus que les trois minutes d’un «Dich teure Halle» souverain devant le public surchauffé du concours Operalia 2015 pour que l’affaire fût entendue : notre époque s’était trouvée en Lise Davidsen une chanteuse pouvant s’inscrire dans la lignée des grandes wagnériennes de l’Histoire.» L’aria étant le «Toi, cher hall» d’Élisabeth dans «Tannhäuser» de Wagner. Continuer la lecture

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