Digressions savantes sur la chimie en cuisine

Pour avoir, en 1980, raté un plat, faute d’avoir respecté la recette, Hervé This, étudiant en sciences exactes, s’engagea dans un domaine d’études particulier, les «précisions culinaires». Il s’agissait d’interpréter, en termes physico-chimiques, les sentences et aphorismes transmis, de façon empirique, de chef à apprenti (cf Bernard Loiseau « Trucs, astuces et tours de main Hachette » 1993) ou répétés de grand-mère à jeune fille au dessus des fourneaux. À partir du concept de «gastronomie moléculaire», développé dans sa thèse (1995), il poussera jusqu’à l’invention de préparations nouvelles, fondées sur la connaissance des propriétés des ingrédients et des instruments susceptibles d’intervenir dans leur transformation. En poussant le bouchon à l’extrême, il sera désormais possible de créer des aliments à partir de composés chimiquement purs. Exercice ou s’illustrera le célèbrissime Ferran Adria, « le Dali de la bouffitude», si l’on en croit Périco Legasse, dans son restaurant El Bulli, sur la Costa Brava. Continuer la lecture

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Caruso en 45 tours

Sur cette reproduction sonore de 1963, Enrico Caruso chante notamment « La donna è mobile », dont le texte est issu de l’opéra de Verdi, « Rigoletto ». Cela fait alors près de quarante ans que le ténor a disparu mais sa notoriété exceptionnelle court toujours. Même avec les moyens techniques de l’époque, l’enregistrement laisse percer la force vocale de l’artiste napolitain. Caruso chante que les femmes sont versatiles, légères, et qu’il ne faut pas se fier à la douceur de leur regard. De quoi se faire pendre haut et court si l’on se réfère à notre époque intraitable sur la question. Mais la musique qui accompagne le texte, d’une énergie phénoménale, gomme l’impair. Errico Caruso, dit Enrico, a expiré il y a cent ans, à l’âge de 48 ans. Et il est bien étonnant de constater l’absence de références biographiques à son sujet. Une grande librairie parisienne consultée, nous a répondu que « non, nous n’avons rien ». Même pas les travaux universitaires publiés à son sujet par un certain Jean-Paul Mouchon. C’est bien dommage. Continuer la lecture

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D’Annunzio, seigneur en exil

La préface, très nécessaire, se termine par un véritable plaidoyer : «Onorate l’altissimo poeta! On ne l’a vraiment pas assez fait en France où D’Annunzio a trop souvent été mal jugé ou même rejeté pour des raisons partisanes qui n’ont rien à voir avec la littérature et encore moins avec la poésie». Celui qui se fait ainsi l’apologiste de l’écrivain italien, c’est l’universitaire Jean-Paul Goujon, inlassable défricheur littéraire de terres vierges. S’il en avait besoin (ce qui est possible), le quasiment légendaire Gabriele D’Annunzio (1863-1938) se verrait en partie réhabilité avec la parution de ce texte peu connu, notamment… parce qu’il n’avait jusqu’alors jamais été traduit en français. En l’occurrence, c’est le préfacier lui-même qui nous offre la première version dans notre langue du «Prologue à la Vie de Cola di Rienzo» plus d’un siècle après les premières parutions en italien (1905, puis 1913). Continuer la lecture

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Les peintres femmes à travers les âges, un MOOC en attendant l’exposition

Si la période actuelle nous contraint malheureusement à une vie culturelle essentiellement “virtuelle” avec visites, conférences, découvertes de spectacles… par écran interposé, les MOOC (“Massive Open Online Courses”), ces sessions de formation en ligne le plus souvent gratuites et ouvertes à tous, ne datent pas du confinement. Mises en place, à l’origine, par les universités et les grandes écoles à l’attention de leurs étudiants, elles se sont généralisées ces dernières années et les institutions culturelles n’ont pas hésité à s’en emparer avec talent et inventivité. Il y a cinq ans, nous en faisions une première expérience ainsi que l’objet d’une chronique dans Les Soirées de Paris (1). Depuis, les sujets n’ont cessé de se multiplier (l’impressionnisme, Picasso, la photographie, la bande dessinée… pour n’en citer que quelques-uns), rendant ainsi l’histoire de l’art accessible à tous d’une manière tout aussi ludique qu’intelligente. Continuer la lecture

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Souvenirs de Vienne en flocons

Il était une fois, dans la capitale de l’Empire Austro-Hongrois, en 1900, un artisan, fabricant d’instruments médicaux, nommé Erwin Perzy. En ce temps là, les demeures étaient éclairées au gaz de ville, mais l’électricité faisait son apparition. Pour mieux concentrer la lumière des ampoules installées dans les blocs opératoires, Perzy tenta divers dispositifs, notamment des globes remplis d’eau, faisant office de loupe. Dans lesquels il introduisit des paillettes de mica, afin d’obtenir une luminosité plus importante. Mais cela n’entraînait qu’un bref scintillement, l’implacable loi de la gravitation faisant rapidement choir au fond les particules. Tenace, notre héros réitéra l’expérience en utilisant cette fois des grains de semoule. Lesquels s’imbibant lentement voletèrent comme neige tombant du ciel, avec un résultat meilleur. Fin de la première étape. Continuer la lecture

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Lune de miel

Pour son voyage vers la Lune, Jules Verne faisait son miel de moult détails techniques ce qui ne l’empêchait pas, par moments de tirer quelques salves humoristiques. Ainsi lorsqu’il mentionne, via l’un de ses personnages, l’anecdote suivante: soit une expérience balistique française sous Louis XI qui vit une bombe partie de la Bastille, « un endroit où les fous enfermaient les sages », atterrir à Charenton, « un endroit où les sages enfermaient les fous ».
Au moment où la NASA vient de choisir son module pour renvoyer des astronautes sur la Lune, il apparaît comme fort distrayant de relire « De la Terre à la Lune », par l’indispensable Jules Verne. Lequel avait prévu, en 1865, à peu de choses près, le même temps de parcours qu’en 1969 avec la mission Apollo 11, et la même zone de tir. Continuer la lecture

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Debussy triplement unique

On croit trop souvent qu’il faut toute une éducation pour aimer «Traviata» ou «Faust», alors qu’il suffit de se laisser porter par la musique, l’intrigue, les voix, le décor, les costumes. Car l’opéra, art total, est tout simplement une histoire qu’on nous raconte. Qu’on découvre «Tosca» ou «Othello» ou qu’on les ait vus cent fois peu importe, parce que ces œuvres sont si riches et l’expérience si complète. Alors comment peut-on se contenter, comme en ce moment, de voir ces chefs-d’œuvres lyriques en streaming at home, sur nos petits écrans à nous ? Si l’expérience n’est pas la même, bien sûr, que si on se trouvait dans la salle, elle suffit pour apprécier tous les éléments essentiels : la direction d’orchestre, la mise en scène et les chanteurs. Et à la fin, lorsque tous les talents se sont conjugués au plus haut niveau, on sent qu’on vient de vivre un moment hors du monde comme avec cette nouvelle production de «Pélléas et Mélisande», captée à l’Opéra de Lille le 9 avril dernier et disponible en streaming pendant six mois. Continuer la lecture

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En 1917, Baudelaire sentait encore le soufre

En d’autres temps, un éditeur se serait frotté les mains. Il aurait aisément transformé ce qu’on appellerait aujourd’hui un buzz en juteuse opération commerciale. Une atteinte aux bonnes mœurs, on en rougit peut-être, mais on peut en tirer un certain bénéfice. En réalité, Poulet-Malassis le courageux éditeur des « Fleurs du Mal », se serait bien passé de la condamnation prononcée le 20 août 1857. Et Baudelaire bien plus encore. Ce fameux procès – qui a assuré au substitut Pinard un notoriété inattendue – condamnait l’éditeur, le libraire et l’auteur pour délit d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs à une amende de 100 francs pour les premiers et 300 francs pour l’auteur. Baudelaire, qu’on ne peut soupçonner de lésine, dut plaider sa cause auprès de l’impératrice et obtint un rabais. Mais surtout, il fallait supprimer six pièces du recueil. Le livre, tiré à 1100 exemplaires, n’était plus vendable. Il y aura d’autres éditions «expurgées». Quant au substitut Pinard, il sera décoré de la Légion d’honneur l’année suivante. Continuer la lecture

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Cadastre exquis

Lorsqu’en 1965 François Mitterrand acquiert sa maison de Latche dans les Landes, elle n’est alors entourée que d’un maigre terrain de mille mètres carrés. Dans cet environnement immense, c’est selon lui, bien trop peu. Lors de la cession, le propriétaire des lieux et des alentours lui a bien promis trois hectares supplémentaires mais il se ravise car celui qui est devenu l’adversaire du Général de Gaulle, lui hérisse le poil. Dans un livre qui se lit d’une traite tant il dévoile, en filant l’anecdote, certains aspects de la personnalité de l’ancien président de la République, les journalistes Yves Marté et Jean-Pierre Tuquoi expliquent comment et en détails, François Mitterrand parvient à étendre la superficie de son domaine. Avec « l’obstination d’un hobereau », l’ancien chef d’État réussit au terme de son œuvre rurale, à acquérir soixante-dix hectares. Pendant des années, « avec l’attention d’un général penché sur une carte d’état-major », il traque le moindre bout de terrain disponible sur son cadastre exquis. Entre 1965 et 1996, il signe pas moins de trente actes notariés à fin d’extension de son territoire. Continuer la lecture

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Le-Pré-Saint-Gervais : une promenade inattendue, accolée à Paris

Vous cherchez à vous évader de Paris sans franchir la barrière fatidique des 10 kilomètres ? Le-Pré-Saint-Gervais, qui est la plus petite commune de Seine-Saint-Denis accolée à Paris, permet en ces temps de restriction kilométrique de se dégourdir les jambes tout en découvrant des endroits inattendus. Une balade tranquille suit les traces du passé résidentiel et industriel de ce curieux petit arpent de 70 hectares. En partant du métro Hoche (ligne 5), on remonte la rue Hoche et la rue du Pré-Saint-Gervais. À l’intersection de la rue Franklin, bifurcation à droite pour découvrir quelques mètres plus loin un site unique dans toute l’Ile de France : l’usine-rue de la rue Carnot. C’est le seul exemple régional encore sur pied d’usine-rue insérée dans le tissu urbain (ci-dessus). Continuer la lecture

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