Gloire à Anna, Marianne et Edgar

Quel lyricomane ne se précipiterait-il pas sur le dernier CD d’Anna Netrebko, toujours star mondiale des sopranos ? Elle qui s’est permis de célébrer ses cinquante ans en septembre dernier à Moscou par un super gala, quand toutes les autres divas auraient soigneusement tenu cet anniversaire secret. Tel est le personnage, tout chez elle est un événement, ses apparitions sur scène comme les actualités qu’elle distille sur son site internet, sur lequel elle affiche tenues extravagantes et recettes de cuisine. Et voilà qu’en janvier dernier, aux dernières nouvelles, elle annonçait sur Instagram qu’excédée par les conditions de travail dues au coronavirus depuis deux ans, elle avait décidé de s’octroyer un congé sabbatique. La sphère lyrique tout entière en frémit… mais il faut dire que la vie de ces divas et divos ressemble à celles des grands athlètes, en plus dure même.
Anna a encore défié le monde lyrique en novembre dernier en Lady Macbeth de Verdi inaugurant la saison de la Scala en virevoltant longuement sur scène tout en faisant tournoyer ses longs voiles et admirer ses fort belles jambes (à voir sur Arte Concert jusqu’au 6.6.2022). Malheureusement, sa performance, le soir de la générale retransmise dans le monde entier, n’a pas été à la hauteur de nos attentes. Car même la Netrebko peut ne pas être en forme, ce qui est rare, mais demeure la dure loi de l’opéra.
Évidemment rien de tel sur son dernier CD enregistré à la fin de l’année dernière, où la prima donna assoluta russo-autrichienne se permet de faire ce que nulle autre ne pourrait: enchaîner aria sur aria sans lien d’aucune sorte, sans ordre et sans logique, passant de Strauss à Verdi pour suivre par Wagner et Purcell, soit parce qu’elle a chanté ces rôles comme nulle autre soit parce qu’elle a eu toujours envie de les chanter, comme la « Didon » de Purcel, ou les abordera bientôt. Et puis une fois encore, outre la beauté du timbre et l’art de l’adapter à chaque œuvre, on retrouve dans chaque aria l’engagement frémissant de la grande actrice chanteuse, à l’instar d’une Maria Callas. Pour l’accompagner, naturellement, elle s’offre l’Orchestra del Teatro alla Scala dirigé par son chef, maestro Riccardo Chailly.

Moins flamboyante que la Netrebko mais non moins ambitieuse, la mezzo soprano française Marianne Crebassa est à 36 ans une étoile lyrique montante qu’on suit passionnément depuis quelques années. Pour son quatrième CD, cette fille du Sud née à Béziers laisse libre cours à ce qu’elle appelle sa part espagnole, qui lui vient de ses ancêtres. Toutes celles et ceux qui connaissant le répertoire vocal espagnol allant de la Renaissance à Manuel de Falla en passant par les inimitables zarzuelas, ces opéras-comiques du XIXème siècle, savent qu’il offre quelque chose d’irremplaçable et de profondément séduisant. Quelque chose qui nous touche au cœur et ne nous lâche jamais, depuis la révélation que nous en fit Victoria de Los Angeles (mon article du 4 juin 2020). Intitulant son récital « Séguedilles », la Crebassa combine l’Espagne des Espagnols et celle des Français comme Massenet, Offenbach ou Bizet, naturellement.

Trois tubes de Carmen lui servent à structurer le CD qui s’ouvre avec la « Habanera » de Carmen, puis la « Séguedille » et le « trio des Remparts », pour finir par la « Chanson bohême ». La voix est mordorée à souhait, alliant ombre et lumière comme seules certaines mezzos peuvent et savent le faire, Marianne plus que toute autre, dont le timbre s’approfondit et se pare de couleurs au fil des ans, lui permettant de livrer de ces tubes, des interprétations saisissantes. Massenet, Offenbach et Ravel aussi lui vont comme un gant, mais finalement, ce qui nous touche plus que tout est ce répertoire espagnol inimitable, «sa part espagnole» comme elle dit. Il faut l’entendre dans les « Seis canciones castellanas » de Jesus Guridi, dans le « Combat del somni » de Federico Monpou, et dans la « Séguedille » de Manuel de Falla pour être transporté vers des terres qu’on ne voudrait jamais quitter. Elle est accompagnée par le bienvenu Orchestre du Capitole de Toulouse dirigé par Ben Glassberg.

Encore cet Edgar Moreau au visage d’ange, me direz-vous, alors que je vous avais raconté le dernier concert du violoncelliste à l’Auditorium de Radio France en décembre dernier (article du 6 décembre 2021) ! Mais comment résister à ce gamin de 28 ans qui vient de sortir un CD intitulé « Transmission » ? Mais oui, tout simplement, et voilà comme il s’en explique : «Je porte depuis toujours en moi l’amour de la musique des grands compositeurs juifs, et plus largement la musique d’inspiration hébraïque.» Puis il parle de «la mission essentielle de les transmettre aujourd’hui dans leur dimension universelle.» Étonnant, non ? Dès qu’il entame, avec son magnifique Tecchler, « From Jewish Life » de Ernest Bloch (1880-1959), il nous plonge dans la poésie nostalgique de cet univers, si poignante, alors que le concerto de Erich Korngold (1897-1957) qui suit déborde d’expressivité et d’entente avec les musiciens de l’Orchestre de Lucerne et leur chef Michael Sanderling. Viennent ensuite le « Kol Nidrei » de Max Bruch (1838-1920), le Schelomo de Bloch puis deux des Mélodies hébraïques de Ravel, tous d’une exceptionnelle intériorité.  Mission accomplie pour Edgar au visage d’ange.

Lise Bloch-Morhange

 

Auditorium de Radio-France, Shéhérazade, Crebassa, Franck, vendredi 18 février 20 h

Photos: ©LBM
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Une réponse à Gloire à Anna, Marianne et Edgar

  1. Mercure dit :

    Toujours aussi enthousiaste,Lise, et quelle capacité de communiquer cet enthousiasme!

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