Le temps d’une guerre, il était raconté dans la revue ci-contre, que Victorien Sardou avait enfilé une tenue d’artilleur. Durant le conflit de 1870 il opérait ainsi à la batterie du Moulin-Joli, situé sur la rive gauche de la Seine. Dans la capitale c’était la disette, en raison du siège tenu par les Allemands. De surcroît il faisait froid car c’était Noël. Et Victorien Sardou avait fini par rentrer chez lui après une journée de canonnade bilingue. Avec l’objectif d’aller dîner dans un restaurant à la mode où, compte tenu des circonstances, on se nourrissait en fonction d’arrivages souvent fantaisistes. C’est alors qu’en sortant de chez lui, il tomba sur un inconnu qui lui présenta « avec un air de mystère », un « panier recouvert d’une serviette ». L’homme ôta le tissu et apparut alors une tête de veau, bien fraîche « sur son lit de persil », une véritable aubaine en ces temps où l’on pouvait manger des rats ou les animaux du zoo. Même le prix était abordable ce qui fit que le grand homme accepta, avec en tête l’idée de faire une bonne surprise à ses amis qui l’attendaient au restaurant Brébant, boulevard Poissonnière. En toute discrétion, Sardou confia la tête de veau au cuisinier avec pour mission de la servir au milieu du repas.
Et au moment ou chacun tentait de scier littéralement un filet de cheval « dur comme du bois », le maître d’hôtel apporta le plat, mais il n’y apparaissait plus qu’un « liquide jaunâtre, épais et gras ». La tête avait fondu. On avait vendu à Victorien Sardou une contrefaçon en gélatine et il sut plus tard qu’il avait compté ce jour-là, parmi les trente naïfs ainsi escroqués.
Son témoignage figura donc en 1912 dans la revue Le Nain Bleu (ci-dessus) et alors que ce grand auteur était mort depuis quatre ans. C’était ce qu’il est convenu d’appeler dans les journaux un papier froid et même posthume. D’autres anecdotes et ragots de cuisine étaient également publiés dans ce numéro dont celui, par exemple, de Sarah Bernhardt (1844-1923), bien vivante de son côté au moment des faits. Pour laquelle d’ailleurs, Sardou écrivit la pièce « Fédora », en 1882. La grande actrice contait dans les pages du Nain Bleu, sa recette des « sauvagines aux alouettes » où il fallait piler les malheureux volatiles dans un mortier avec du beurre, des grains de malaga et du genièvre, avant de bourrer les sauvagines (oiseaux aquatiques) de cette « trituration » barbare et de barder le tout de lard. Elle avait daté son billet de 1912 ce qui fait que son petit texte avait pu être servi chaud aux lecteurs du Nain Bleu lequel était l’émanation papier du célèbre magasin de jouets fondé en 1836, rue Saint-Honoré.
Ce numéro de 1912 donc, âprement négocié un euro au marché du livre d’occasion situé dans le 15e arrondissement, était ainsi farci des meilleurs signatures, qui y allant de son anecdote épatante, qui de sa bonne recette. Comme le journaliste Albert Flament (1877-1956), lequel en avait profité pour livrer la formule extraordinaire de la « Tête de veau en tortue à la Guérin » dont on peut ici s’abstenir de livrer le texte trop détaillé, sauf à alerter la brigade des sensitive readers.
Il est également raconté dans ce journal que quelques jours avant de mener la bataille d’Ivry en 1590, c’est dire si l’actualité chaude comptait peu dans la matière éditoriale, Henri IV s’était rendu pour dîner à la fortune du pot chez l’un de ses officiers. Mais comme celui-ci n’était pas là, il ne se fit pas reconnaître et la maîtresse du logis crut seulement avoir affaire à un chef des armées. Elle lui prépara à lui et à ses deux accompagnateurs une dinde grasse. Elle avait été apportée par un voisin qui se joignit à eux pour raconter avec esprit quelques bonnes histoires, agrémentées de traits piquants. Avant de se confondre en excuses pour sa familiarité, dès lors que Henri IV se dévoila. Et bon prince, après avoir proféré « Ventre-saint-gris! », il fit du propriétaire de la dinde un noble gentilhomme. Les astres étaient ainsi alignés comme des couverts d’apparat.
Un genre de canular qui ne serait pas possible de nos jours tant ceux qui nous gouvernent au sommet défilent sur les écrans de télévision. Leur notoriété est en effet débordante ce qui fait que l’on voit mal notre président s’inviter chez nous incognito. Il paraît en tout cas que Henri IV s’était beaucoup amusé de l’épisode. Cette bonne humeur lui permit peut-être d’emporter le 14 mars 1590 la bataille d’Ivry (en Normandie), contre le duc de Mayenne, avec des troupes pourtant insuffisantes. En soufflant un peu sur les braises du récit il en fit un triomphe, avec en tête et en bouche un souvenir luisant d’émotion, dû à la dinde grasse.
PHB
2 petites corrections ?
C’est alors qu’en sortant de chez lui afin de s’y débarbouiller (il se débarbouille dehors ?)
notre président s’inviter chez de chez nous incognito
Cordialement
Pierre Morvilliers
Merci à vous