Souvenir lunaire

Le 27 novembre dernier, à 14h45, se répandait sur le réseau X (ex-Twitter) l’annonce de la mort d’Edwin Eugen Aldwin Jr. Une heure plus tard, un nouveau message prétendait à la confirmation de ce décès par ses proches, avec un lien renvoyant sur le site Necropedia. Reprise par quelques radios, puis par des médias du monde entier, la rumeur sera démentie par le porte parole de l’intéressé. Fausse nouvelle, fake news, comme disent la plupart, de nos jours. À 93 ans, le héros paraît se porter comme un charme. Au début de cette année, il a épousé en quatrième noce Anica Faur, la directrice de son institut, de 30 ans sa cadette. Preuve qu’il sait joindre l’utile à l’agréable. La seule lune l’intéressant désormais est la lune de miel. Mais effectuons pour notre belle jeunesse une remontée dans le temps: qui est donc cet Edwin Aldrin, surnommé Buzz, à l’américaine ? Il reste le dernier vivant d’une épopée légendaire, un personnage illustre des États Unis modernes, l’auteur d’une grande première. Donc, le dimanche 20 juillet 1969, à 20h17 UTC, dans le cadre du programme Apollo 11, le module lunaire Eagle se posait dans la mer de la Tranquillité. À bord, les astronautes Neil Armstrong et «Buzz» Aldrin. Le troisième de l’équipe, Michael Collins, est demeuré dans le module de commande Columbia.

Près de 7 heures plus tard, une fois les vérifications accomplies, et la dépressurisation de l’habitacle achevée, ayant descendu l’échelle de coupée et posé les pieds sur la Lune, Armstrong prononce la phrase restée dans l’histoire : «un petit pas pour l’homme, un grand bond pour l’humanité». Quinze minutes après, son collègue descend à son tour. Il est, à ce moment là, pris d’une envie irrépressible, qu’il ne pourra que satisfaire. Les experts en biologie humaine le savent bien, la plénitude de la vessie engendre une pression sur les muscles afférents, lesquels donnent au cerveau un signal impératif. Où que l’on soit, il faut s’exécuter. Et pendant cet instant, ne penser qu’à cela. Louis Jouvet n’avait-il pas constaté que «pisser est la jouissance du chaste»?

Curieusement, bien qu’il s’agisse d’un fait aussi naturel pour homo sapiens que la marche, un besoin qu’un individu normal doit satisfaire six à huit fois par jour, donc facilement prévisible, la NASA n’avait rien envisagé pour souligner l’événement. Quelque chose dans le genre ampoulé, solennel, à énoncer introspectif, une phrase d’Épinal destinée à figurer dans les manuels éducatifs des morveux de cours moyen. Restait l’improvisation, par exemple, tenez, emphatique, «cette envie ne tiendrait pas dans une musette», banal «même ici la nature fait valoir ses droits», cocasse «c’est une miction Apollo onze», hédonique «hâââ ! voilà qui soulage», publicitaire «il faut é-li-mi-ner», nature «j’ai changé l’eau du poisson», gaulois «faisons pleurer le colosse», enfantin «manman, pipi!».

Mais Aldrin, homme bien élevé, n’a pas coutume d’accompagner de commentaires ce geste multi-millénaire. Il demeure chez lui un fond de pudeur victorienne, accentuée par sa qualité de diacre presbytérien. Tout au plus en fera-t-il dans ses mémoires une brève allusion, uniquement pour le détail historique, précisant : «à chacun sa première sur la lune!»

L’instant fut délicat. Un officier de l’US Air force est, par formation, habitué à une hygiène rigoureuse. Le scaphandre spatial ne se prête pas à la gestuelle opératoire classique. La preuve, dans le millier de costumes constituant la garde robe du Manne-ken-Pis, il n’en figure aucun. Par surcroit, pas question, sur notre astre de la nuit, d’ouvrir largement sa braguette, d’en extraire son appendice urétral, de porter la dextre en accent circonflexe au dessus d’icelui, l’abdomen pointé en avant, tandis que le poing senestre se campe sur la hanche homologue. Pas de tronc d’arbre, de coin de mur où s’abriter des regards indiscrets. Pas d’insecte en maraude sur qui diriger le jet. La lune étant dépourvue d’atmosphère, pas de vent à redouter, à l’encontre de notre locution populaire, «qui pisse contre le vent mouille sa chemise».

L’astronaute en est réduit à faire sous lui, dans l’intérieur de son vêtement, comme le chevalier en armure, le champion cycliste, le chirurgien des hôpitaux sur le théâtre de ses opérations. Un geste insignifiant, simple émission physiologique, diurèse anonyme, auto-ondinisme purement conjoncturel, impropre à la commémoration.

Le touriste visitant Cap Canaveral ne verra par conséquent jamais la statue de bronze intitulée Aldrin compissant la béquille ouest du LEM, illustrée de la sage parole de l’Écclésiaste  (1): «Rien ne sert de pisser si on n’a pas envie.»

Jean-Paul Demarez

(1) Pierre Dac, qui nous lit régulièrement, ne s’offusquera pas de cet emprunt

Source photo: NASA (Aldrin au pied du LEM)
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2 réponses à Souvenir lunaire

  1. PAILLARD Jacques dit :

    « Buzz », très dépité de ne descendre du LEM qu’en seconde position, se serait-il juste avant consolé autour de la Lune en s’inspirant de Mon Oncle Benjamin ? Un film picaresque sorti aussi en 1969 dans lequel Jacques Brel et ses épicuriens amis entonnaient cette fameuse chanson paillarde :
    Buvons un coup nom de Dieu la rirette
    Buvons un coup et buvons tant et plus
    Buvons un coup nom de Dieu la rirette
    Buvons un coup et nous pisserons dru !

  2. Philippe PERSON dit :

    Une chronique qui fera le Buzz

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