De marbre

L’image ci-contre est doublement intéressante. D’une part parce qu’elle présente un fossile de rhacolepis, poisson qui barbotait dans les eaux brésiliennes il  y a de ça cent millions d’années. D’autre part parce qu’il est entouré d’un agencement de couleurs réalisé à la craie sur une surface en carton. Et ce qui rend l’assemblage pertinent, c’est l’époque. Car la craie est une roche sédimentaire datant du crétacé tout comme cet animal qui se caractérisait aussi par ses nageoires rayonnées. Ce qui pourrait nous amener à parler du marbre, matière plus ancienne encore et dérivant du calcaire. Mais non. L’idée du jour étant de rapporter une histoire presque authentique, inspirée d’événements réels, comme on dit au cinéma. Car le marbre est également partie prenante d’un jargon journalistique désignant un article dont la date de péremption est suffisamment souple pour en reporter la parution. Un papier « marbré » est un papier qui attend une opportunité, une roue de secours pour les jours creux. Continuer la lecture

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Dieu du ciel

Outre un accent circonflexe, le jour de Pâques a ceci de commun avec celui de la Pentecôte, de n’être qu’un jour férié, apprécié des amateurs de week-ends à pont. C’est faire bien peu de cas de l’histoire sainte qu’un manuel, paru en 1932,  se chargeait d’expliquer aux enfants. Dans un langage simple, accessible aux adultes du siècle suivant, ce petit guide dépassé à maints égards, expliquait que Pâques correspondait avant tout à la résurrection de Jésus. Sachant qu’au matin du 3e jour de sa crucifixion qui allait donc devenir un jour férié, « un ange descendit du ciel, souleva la pierre du sépulcre » et Jésus reprit goût à l’existence après s’être cru abandonné. Car n’avait-il pas imploré auparavant, « Eli, Eli, lama sabachthani » ce qui en araméen châtié signifiait, « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». Ce manuel d’histoire pourrait c’est sûr, constituer une bonne série télé, tellement son scénario est riche en rebondissements. Continuer la lecture

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Champollion, génie du rébus

Entre 1828 et 1829 Jean-François Champollion est enfin en Égypte, déjà bien avancé en science des hiéroglyphes pour se confronter à la réalité. Il n’est pas tout seul. À la tête d’une équipe franco-toscane il est accompagné de dessinateurs dont Nestor L’Hôte, afin de faire des relevés. Ce que l’on peut voir sur le détail ci-contre,  a été retranscrit par les deux hommes à partir du tombeau de Ramsès VI, mort en 1137 avant Jésus-Christ. Exactement, il s’agit sur toute une longueur d’un panneau, du « registre médian de la paroi Sud ». Cette merveille est actuellement exposée à la BnF à l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. Comme l’expliquait hier aux Soirées de Paris, l’égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë, la méthode de Champollion a été d’apprendre auparavant de nombreux langages allant du gaulois au chinois en passant par l’étrusque et le mexicain. Et surtout le copte, avec lequel le savant identifie de nombreuses passerelles. La scénographie très généreuse a bénéficié des trésors de la BnF parmi lesquels 88 volumes de notes et de dessins issus de la main de Champollion (1790-1832). Continuer la lecture

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L’annuaire en vers et prose

Elle s’appelait mademoiselle Lia-Andrée Salmon Zinzerling et elle tenait probablement une librairie à Saint-Pétersbourg, puisque c’est ainsi qu’elle était présentée dans la revue Vers et Prose. Elle faisait partie des quelques abonnés résidant en Russie, au moins depuis 1906, et c’est bien tout ce qu’il est possible de dire de cette personne, quoiqu’un chercheur canadien s’est un jour penché sur l’histoire des librairies françaises dans cette ville russe (1). Non, ce qui fait le sujet totalement anachronique du jour, c’est qu’en 1909, dans son numéro de juillet-août-septembre, la Revue Vers et Prose avait publié l’annuaire de ses abonnés. Chose invraisemblable dont on peut se demander l’intérêt éditorial. C’était peut-être un acte d’ordre promotionnel, toujours est-il que la liste comportait un intéressant vivier de noms d’abonnés. Apollinaire n’y figurait pas mais cela peut se comprendre dans la mesure où, étant contributeur depuis l’origine de la revue en 1905, il n’avait probablement pas besoin de délier sa bourse pour disposer d’au moins un numéro. Continuer la lecture

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Effusions

Le baiser consiste à toucher une personne avec les lèvres grâce aux muscles orbiculaires de la bouche. L’endroit cible du corps d’autrui reste à l’initiative du déposant. Soucieux de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, les anciens Romains disposaient de trois termes distincts, fonctions des circonstances. Le premier, basium, s’adressait au cercle familial, le deuxième, osculum, visait l’environnement social, le troisième, suavium, avait une connotation sensuelle. Nous pourrions traduire basium par poutou, osculum par bise, suavium par patin. Le Kamasutra identifie le patin comme un classique de l’érotisme hindou. Certaines estampes de la période Edo attestent de son usage au Japon dans les ébats amoureux. Les stages au Royaume Uni ou les programmes Erasmus permettent aux étudiants ou aux étudiantes d’Europe de constater sa pratique dans l’ensemble du continent, et quiconque élargit son expérience de par le monde en vérifie l’universalité. On parle alors de séjours linguistiques, le patin classique se réalisant en préliminaire par entrecroisement des appendices linguaux des partenaires. Continuer la lecture

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Le jardin d’agronomie tropicale se désespère

Quoique bien défraîchie, cette porte chinoise fait encore bonne figure à l’entrée du Jardin d’agronomie tropicale, partie prenante du Bois de Vincennes. Elle n’est pas sans rappeler « Le Voyage de Chihiro » le film de Miyazaki, lequel racontait dès 2001 l’aventure fantastique d’une famille, au sein d’un parc d’attractions abandonné. C’est bien le sujet d’ailleurs. Hormis quelques pavillons bien traités, l’ancien jardin d’essai colonial, créé à la fin du 19e siècle, pleure misère. Bien que l’ensemble soit classé et inscrit aux monuments historiques, on ne peut que constater de nombreux désastres, depuis la dernière chronique parue dans ces colonnes (1). Des serres abandonnées, des pavillons en partie effondrés, des intérieurs tagués: la moitié de ce lieu, propriété de la Mairie de Paris (depuis 2003), souffre de délabrement. Négligence coupable tant cet espace pourrait n’être qu’émerveillement. Reliquat du colonialisme il n’est peut-être pas, pour cette raison, en odeur de sainteté. Continuer la lecture

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La voix de deux grandes plumes étrangères

Deux écrivains de grande envergure ont chacun publié récemment une tribune pleine page dans Le Monde au sujet de la guerre en Ukraine. Le premier, le 27 mars, Jonathan Littell (ci-contre), était attendu, car parfaitement légitime sur le sujet. Fils du maître du roman d’espionnage américain Robert Littell, né à New York mais élevé en France, Jonathan a reçu le prix Goncourt en 2006 pour «Les Bienveillantes», immense déflagration, pavé de plus de mille pages écrit en français donnant la parole à un officier SS œuvrant dans les camps. Avant d’en arriver là, il avait travaillé une dizaine d’années pour les ONG humanitaires MSF  et Action contre la faim  en Bosnie, Tchétchénie et Afghanistan. En 2008, à la demande du Monde 2, il a écrit un reportage en Géorgie (peu après le bref conflit ayant opposé ce pays à la Russie), puis tourné un documentaire sorti en salle en 2017 sur les enfants-soldats d’Ouganda (Wrong Elements). Continuer la lecture

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Le sens du trône, de l’art et du secret

Même dans nos sociétés modernes, la marque du chef perdure autour de son séant. Que l’on soit ministre, préfet, sous-préfet, un PDG ou simple chef de service, la position hiérarchique se caractérise par un siège distinct des subordonnés, des administrés, des sujets. Cette réflexion peut ainsi monter à l’esprit du visiteur devant la toute nouvelle exposition sur les chefferies du Cameroun au musée du Quai Branly. À l’instar de cet extraordinaire trône entièrement perlé du 19e siècle, représentant un roi assis avec une chevelure de plumes comme dressée par la foudre. Ce chef-d’œuvre (ci-contre) est considéré comme un « emblème de la force et de la vitalité de Notuégom, fondateur de Bandjoum ». Il a été exposé à Paris en 1962, à Dakar en 1966 et à Marseille en 1993. Sa rareté vaut à elle seule le déplacement. L’Afrique et incidemment le Cameroun, nous renvoient ainsi à nos propres symboles. Continuer la lecture

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Effets de styles

Si l’on veut traiter une énième fois d’un sujet, il faut soit de nouvelles informations, soit un nouvel angle. Comme les informations se font rares sur Serge Gainsbourg (1928-1991), sa vie ayant déjà été abondamment documentée, Marie-Christine Natta a choisi un angle: le dandysme. Auteur d’une thèse sur ce thème autour du personnage de l’écrivain Barbey d’Aurevilly (1808-1889), on peut supposer qu’elle disposait de quelques outils afin d’attaquer sur ce terrain le créateur de « La Javanaise ». Il est vrai que cette approche convient bien au personnage qui avait sur l’élégance en général et plus particulièrement sur sa façon de codifier son comportement, un style cochant la plupart des cases. « À l’instar de Baudelaire, dont il est un lecteur assidu, écrit-elle en avant-propos, il rejette la nature qui banalise, et choisit l’artifice qui distingue. » Selon elle, Gainsbourg étendait « le culte du beau à chaque élément de sa vie, qu’il soumet à sa loi esthétique ». C’est ainsi qu’avec ce prisme au bout de sa lunette, elle retrace l’existence de cet artiste polymathe, chanteur et poète-emprunteur. Continuer la lecture

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Retour au jardin des autochromes

Outre une exposition temporaire inaugurale, voilà si besoin, un triple alibi pour aller refaire sans attendre, un tour du côté de Boulogne-Billancourt, car le nouveau Musée Albert Kahn rouvre ses portes, demain samedi 2 avril, après six ans de travaux. D’une part l’édifice est signé par l’architecte Kengo Suma, lequel se flatte d’avoir flanqué le bâtiment d’un engawa dont le seul nom pique naturellement notre curiosité. D’autre part parce que les fameux et merveilleux autochromes sont disponibles en nombre jusqu’à en frôler l’extase. Et enfin parce que les auteurs du chantier ont eu la sagesse de ne pas toucher à la configuration du jardin extraordinaire ayant depuis longtemps, fait la réputation du lieu. On pourrait ajouter qu’il est aussi toujours bon, de s’intéresser régulièrement à Albert Kahn (1860- 1940) dont l’intelligence, l’humanisme et l’esprit d’aventure au sens le plus large possible, soulignent à quel point hélas, de telles qualités cumulées ne sont pas monnaie courante. Continuer la lecture

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