Le dévoiement du fiasco

Originaire de Fano, dans la région italienne des Marches, Carlo Magini s’était taillé une honorable réputation de peintre grâce à ses natures mortes. Nous n’avons pas la date exacte de la toile ci-contre (détail), fin 18e peut-être, mais ce qui est intéressant c’est que l’on y voit une bouteille de vin, le fameux fiasco, entouré de paille afin de protéger le verre. De nos jours le terme à fait florès au sens figuré pour signifier un échec complet, et ceci depuis l’époque où un acteur italien du 17e, Domenico Biancolelli, fit un bide sur scène en agitant une bouteille de vin. L’actualité n’a de cesse de s’emparer du mot fiasco, le dévoyant à l’excès. Le dernier en date étant un certain match de foot à Saint-Denis qui ne s’est pas déroulé dans les conditions souhaitées. Heureusement qu’en 2013 puis en 2021, parut sous la plume de l’académicien Jean-Robert Pitte, aux éditions Tallandier, un bel ouvrage autour du vin et de sa mise en bouteille. Disponible à la librairie des Immortels, en vue du Pont des Arts, c’eût été bête de passer devant sans l’acquérir pour s’instruire. Continuer la lecture

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Annette Messager fait comme si… et fait comme ça

Lorsqu’il décida de mettre fin à ses jours, le 27 août 1950 dans une chambre d’hôtel de Turin, le poète italien Cesare Pavese laissa sur une table un dernier texte «La mort viendra et elle aura tes yeux». La plasticienne Annette Messager a décidé de prendre cette formule troublante et ambiguë au pied de la lettre. Dans sa dernière exposition présentée au musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, cinq grands dessins d’œils sont collés au mur, disposés en pyramide. Il faut s’approcher de très près pour découvrir que dans la pupille de chaque œil se cache une tête de mort. La référence à Pavese est revendiquée. Dans la même salle, une installation posée à même le sol évoque une ville en ruines, comme calcinée. On peine à reconnaître la Tour Eiffel, Notre-Dame de Paris ou le centre Pompidou. Seules émergent des têtes d’animaux en peluche qui ont gardé leurs couleurs. L’unique survivant parmi les humains, c’est Pinocchio, celui qui ment et qui ne veut pas grandir. Cela s’intitule « La Revanche des animaux ». Continuer la lecture

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Le médiéval dans un bain de jouvence

C’était pour récompenser un fidèle parmi les fidèles que chaque année, le quatrième dimanche de Carême, le pape offrait à ce dernier une rose d’or. Celle-là a été acquise en 1854 par le Musée de Cluny. Une notice nous explique qu’elle provient de la cathédrale de Bâle. C’est la plus ancienne du genre, nous est-il également indiqué. Le pape Jean XXII en avait commandé l’exécution en 1330 à un artiste italien, Minucchio da Siena. Tout en délicatesse, elle a été disposée dans la salle 11 du musée de Cluny qui sort à peine d’un long bain de jouvence. Les travaux ont effectivement débuté en 2011 et il y avait foule, jeudi 12 mai, pour profiter des espaces intérieurs rénovés. Les Français aiment leur Moyen Âge, ils aiment rêver devant ses icônes, un bouclier de tournoi, jusqu’à cette rose qui ne s’est jamais fanée. Quant aux murs du musée, ils ne délivrent plus guère le bon parfum d’antan, celui que l’on trouve dans les anciennes demeures. C’est l’inconvénient du savon. Il stérilise quelque peu 1000 ans d’histoire et même 2000 si l’on prend en considération les thermes de Cluny qui sont accolés à l’ensemble. Continuer la lecture

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Perceptions polyphoniques

Avant son départ vers l’Europe et les mille déboires qu’il a dû affronter, le migrant l’ignore probablement: en Hollande, sa voix va être enregistrée afin de déterminer s’il ment sur son pays d’origine. Sur cette simple analyse vocale, du moins en 2012, son dossier allait être estampillé « accepté », « rejeté » ou « en attente ». Ce procédé discutable a fait l’objet d’une « installation », actuellement visible au Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis. Intitulée « Conflicted Phonemes », cette œuvre d’art singulièrement marquante, est signée par Lawrence Abu Hamdan, originaire de Jordanie. Elle est constituée de diagrammes mis au point avec des linguistes, des chercheurs, des activistes, des organisations culturelles et une graphiste. Elle se base sur des demandes d’asile de Somaliens, parfois rejetées, à la suite de tests d’analyses vocales mis en place par les autorités néerlandaises.  Ainsi Jama, qui affirmait venir de Somalie du Sud, a dû prononcer devant un microphone des phonèmes comme « non », « école » ou « banane » avant que l’expertise automatisée, basée sur un atlas d’accents, ne détermine qu’il venait du Nord. Fatale erreur, ont alors estimé d’intraitables censeurs de frontières. Continuer la lecture

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A couper au couteau

Il existe des tas de sortes de couteaux sauf celui à couper le brouillard. Quand bien même quelqu’un viendrait à l’inventer, il ne servirait plus à rien, du moins à Paris. Nous pouvons certes connaître quelques matinées de demi-brume au cours de l’hiver (photo ci-contre), mais le vrai brouillard, le franc brouillard propice à l’oubli de soi, a disparu des rues de la capitale. C’est une perte, peut-être un signe. Nous ne regrettons pas ici le brouillard de pollution, mais bien le phénomène atmosphérique naturel produit par de minuscules gouttes d’eau, perturbant la luminosité et entourant toute chose d’un halo étrange. À Paris, foncer dans le brouillard ne veut plus rien dire. La seule métaphore qui tienne encore un peu la route dans ce domaine mais indépendante de la question géographique, c’est le fait d’être dans le brouillard, signifiant par-là que les brumes du réveil ou celles causées par une soirée trop arrosée, font que l’on peine à avoir les idées claires. Il faut attendre qu’elles se dissipent. Continuer la lecture

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Ramener sa fraise

Avec le printemps réapparaît sur les étals des marchés et dans les rayons des grandes surfaces la fraise gariguette. Elle appartient au groupe des «précoces». Les fraises, par les vertus du commerce et de la génétique réunis se divisent en quatre groupes : précoces, donc, puis par ordre d’entrée en scène, celles de «pleine saison», les «tardives», et enfin les «remontantes». Le Larousse gastronomique (ed. 1996) penche, lui, pour une classification morphologique : coniques, cordiformes, rondes, triangulaires. Prosper Montagné, en son dictionnaire culinaire (1938), se satisfaisait de deux groupes, les petites et les grosses, signalant la création permanente de nouvelles productions. Il en identifiait quelques unes, la Héricart-de-Thury, la Docteur-Morère, la Président-Carnot, la Général-Chanzy, la Duc-de-Malakoff… L’époque pratiquait volontiers l’éponymie. Mais les temps ont changés. À l’exception des inventeurs de roses, on ne donne plus volontiers aux produits de l’activité agricole des noms de célébrités. Imaginerait on l’asperge Charles-de-Gaulle, la poire Georges-Pompidou, ou la tomate Guy-Mollet ( en souvenir de son accueil à Alger, le 6 février 1956, les Pieds Noirs le bombardant de ce légume-fruit bien mûr). Continuer la lecture

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Cours exceptionnel d’histoire-géo à la BnF

Entre autres particularités, Octavie Coudreau (1867-1938) se préférait explorateur à exploratrice. Et elle laissait aussi entendre que si elle fouillait l’Amazonie, c’était avant tout afin de retrouver les restes de son mari qu’elle accompagnait auparavant dans sa mission de géographe-civilisateur. En réalité, il semble qu’elle y avait pris goût, puisqu’elle s’empressait de préciser qu’elle s’était fait un devoir de continuation de cette entreprise visant à transmettre la connaissance « aux masses ». Il lui avait légué, outre « une belle indifférence » pour l’argent, un savoir-faire en matière d’établissement d’un relevé géographique. Elle avait pris les deux. On ne sait pas quand fut décédée Amélie Bel (1859-) mais elle avait ceci de commun avec Octavie, d’être elle aussi partie avec son mari pour l’Afrique du Sud, l’Extrême-Orient et le Congo. Leurs portraits respectifs figurent sur les cimaises de l’exposition sur l’exploration à la BnF qui célèbre en ce sens le bicentenaire de la Société de Géographie. Continuer la lecture

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De Fidelio à La Perichole, deux femmes fantastiques

On dit volontiers que l’opéra est l’univers des femmes sacrificielles, ce qui est vrai si l’on pense aux grandes héroïnes comme Maria Stuarda, Norma, Tosca, Aïda et autres. Mais dans son unique opéra, Beethoven a voulu au contraire célébrer une femme triomphante : son mari Florestan, un aristocrate engagé, ayant été emprisonné de façon arbitraire par le gouverneur-tyran Pizarro, sa femme Leonore décide de se faire engager par le directeur de la prison en se déguisant en homme, sous le nom de Fidelio. Elle est sans nouvelles du prisonnier depuis plus d’un an, et ne sait même pas s’il est encore vivant. L’histoire est inspirée d’un épisode réel situé pendant la Révolution française, transposé dans une forteresse espagnole près de Séville, au XVIIIème siècle. Évidemment, Fidelio tremble de peur d’être démasquée par le geôlier en chef Rocco, d’autant que la fille de Rocco, Marcelline, est tombée amoureuse de lui, tout en étant courtisée par l’assistant de son père qui la presse de l’épouser. Continuer la lecture

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Un Bourgeois décalé et en fanfare

En ce 400e anniversaire de la naissance de Molière (1622-1673), alors qu’elle poursuit sa saison hommage à son illustre Patron à travers nombre de productions et rencontres artistiques diverses, la Comédie-Française nous propose de (re)découvrir une merveille créée la saison passée, sans laquelle la Maison ne saurait désormais compter : “Le Bourgeois Gentilhomme” mis en scène par Valérie Lesort et Christian Hecq. Une féérie décalée et loufoque dans laquelle le verbe moliéresque se marie à la musique de Lully version fanfare venue des Balkans. Un pari fou et réussi ! L’univers insolite et merveilleux auquel nous a habitués le couple de metteurs en scène depuis son adaptation, en 2015, au Vieux-Colombier, du roman de Jules Verne “20 000 lieues sous les mers” fait, là encore, sensation. Le génie du tandem est de créer ici un spectacle visuel et musical des plus surprenants tout en portant haut et fort le propos de Molière. Du grand spectacle ! Continuer la lecture

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Les chansons pies du père Duval

En ce temps-là, les curés portaient soutane noire et les religieuses n’avaient pas enlevé leurs cornettes. La messe était dite en latin. Pour y assister, les hommes se présentaient obligatoirement tête nue, tandis qu’à l’inverse les femmes devaient se recouvrir la tête d’un voile ou d’un foulard. Le mot parité n’était pas utilisé. Dans certaines campagnes, l’assemblée de fidèles était encore séparée en deux : les hommes à droite, les femmes à gauche. À la fin de l’office (annoncée par le tant attendu «Ite missa est»*) tout le monde se retrouvait joyeusement à la pâtisserie du village pour y acheter la tarte d’un repas aussi dominical que familial. Dans ces années d’après-guerre qui nous semblent aujourd’hui aussi éloignées que l’époque d’Abélard, apparut un nouvelle étoile dans ce qu’on n’appelait pas encore le star-system. Né dans une famille paysanne des Vosges en 1918, Aimé Duval a reçu une formation complète chez les jésuites avant d’être ordonné prêtre en 1949. La foi est chevillée au corps, et il possède une talent particulier. Continuer la lecture

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