Des pâtes!

Il semble y avoir environ 160.000 restaurants traditionnels en France, dont 20.000 se réclament de l’Italie. On y sert habituellement des pizzas, sous des appellations diverses(1), et des spécialités de pâtes, dont immanquablement  « alla carbonara ». Souvent maltraitées. Celles-ci font l’objet, depuis 2016, d’une fête particulière dans leur pays d’origine, le Carbonara Day, correspondant au 6 avril. Afin de célébrer comme il se doit la gastronomie italienne, en général, et ce plat emblématique, en particulier. Une tradition lui trouve ses racines au XIXe siècle chez les carbonari, ouvriers fabriquant le charbon de bois dans les forêts des Appenins. Mais des esprits rationnalistes objectent que leurs conditions économiques précaires les exposaient davantage à la polenta qu’à des produits issus de la semoule de blé dur. Un certain Francesco Palma atteste cependant, dans un ouvrage culinaire de 1881, l’existence d’un « plat de pauvres », les maccheroni con cacio e uova, garnis de saindoux. Ce qui n’a qu’un rapport lointain avec la préparation. Continuer la lecture

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De l’amour et des grues

La formule était simple. L’homme devait juste mâcher avec méthode le poumon droit d’un vautour enveloppé dans une peau de grue. Ensuite l’épouse devait attendre que la mixture fasse son effet avant de profiter de la renaissance sensuelle de son mari. Car c’est au profit du genre masculin qu’allait principalement la recette, ainsi que Pline (23-79 après J.C) le laissait entendre dans son « Histoire de la nature », légendaire  ouvrage constitué d’un volume invraisemblable de rouleaux de papyrus. Alors que l’actualité toute récente mentionne, dans la rubrique faits divers, des prises en augmentation de miel aphrodisiaque, on ne peut que constater en relisant Pline, dont l’ouvrage a plus tard été retranscrit en livres (ci-contre), que se ragaillardir le métabolisme en vue de retrouver le goût à la chair est un très vieux souci. Et que cette préoccupation témoigne aussi, probablement, d’une volonté de se distraire de tout ce qui nous ternit l’humeur. L’absorption d’un éclair au chocolat peut fait l’affaire cinq minutes pour un pur plaisir gustatif, mais si l’on veut aller plus loin, jusqu’à l’aube tant qu’à faire, il faut penser au jumelage mitonné d’un poumon de vautour et d’une grue entière. Continuer la lecture

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La trahison des images

Il serait intéressant d’étudier l’impression ressentie le plus souvent par le visiteur qui découvre pour la première fois la Joconde au musée du Louvre.  Ce n’est sans doute pas le regard impénétrable ni le sourire ambigu de la dame qui retiendra son attention. Il y a gros à parier qu’il sera avant tout surpris par les dimensions modestes du tableau de Léonard de Vinci. La Joconde ne mesure que 77 cm de hauteur sur 53 cm. Une taille inversement proportionnelle à son immense popularité.… et qui peut provoquer une certaine déception. Cela n’empêchera ce même visiteur de photographier abondamment le tableau qu’il pourra ensuite agrandir ad libitum. Le chef-d’œuvre de Vinci n’est pas le seul tableau dont les dimensions surprennent celui qui le voit « en vrai » pour la première fois. La Jeune Fille à la perle (ou Jeune Fille au turban) de Vermeer n’a peut-être pas l’aura de Mona Lisa, mais elle compte parmi les portraits les plus admirés de l’art pictural, toutes époques confondues. On peut la voir au Mauritshuis de La Haye, une belle et riche demeure aux odeurs de cire et de vieux meubles. Un écrin idéal pour ce portrait éminemment séduisant… mais qui étonne aussi par sa petite taille: 44,5 cm sur 39 cm. L’étonnement sera de courte durée, car ce format ne fait qu’accentuer le côté intimiste et rajoute au charme de la jeune inconnue que le peintre de Delft a rendue mondialement célèbre. Continuer la lecture

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Nîmes, 1915: la rencontre de deux poètes

À Nîmes, au n° 18 de la rue de l’Étoile, dans le quartier de l’Écusson, un restaurant à l’enseigne de « La Grille » accueillait une clientèle de militaires, d’autant que cette rue était aussi connue pour ses maisons closes. Un dimanche du mois de mars 1915, un soldat entre dans ce restaurant, un poète originaire de La Grand’Combe (Gard), dont le régiment d’infanterie a été regroupé à Nîmes avant son départ pour le front: Léo Larguier (1878-1950). Ce gardois était « monté » à Paris, fin 1899, pour entrer à l’École des Sciences Morales et Politiques, selon le souhait de ses parents, mais en réalité pour tenter une carrière de poète, selon sa profonde aspiration. Il s’était donc aussitôt détourné des Sciences politiques pour se donner à la douceur de la poésie lyrique, parvenant rapidement à la reconnaissance des poètes majeurs de son époque. En entrant dans ce restaurant, Léo Larguier aperçoit, au fond de la salle, Guillaume Apollinaire. Celui-ci savoure à cet instant une brandade de morue, spécialité nîmoise et plat apprécié du poète « d’Alcools ». Continuer la lecture

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Le premier « people » sur le Mont Ventoux

Quand il partait de Montpellier pour rallier le mont Ventoux (Vaucluse) et gagner l’étape du Tour en un peu plus de cinq heures, Raymond Poulidor ne s’embarrassait certes pas des « Confessions de Saint-Augustin » en un volume, courbé qu’il était sur son guidon, anxieux de ne pas se laisser dépasser par Felice Gimondi. C’était en 1965. Il ne savait peut-être pas qu’un certain Pétrarque, l’avait devancé six siècles auparavant, accompagné de son frère. Et que ce Francesco Petrarca lui, né à Arezzo (Italie) le 20 juillet 1304, avait bien emmené le fameux bouquin car son ascension n’avait pas pour but que de se dégourdir les jambes. Il était déjà quelqu’un de connu et, à ce titre, en grimpant sur le Ventoux à près de deux mille mètres d’altitude, il devenait le premier « people » à gagner le sommet, le premier touriste à en publier le récit dans un langage dit « vulgaire ». Le tout ayant été réécrit bien après son ascension et son couronnement à Rome, en tant que poète des poètes. Continuer la lecture

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Sisyphe

Jeune adolescent, il découvrit, dans la bibliothèque grand-paternelle, un vieux Larousse médical illustré. Il se plongea dans l’épais volume, s’arrêtant surtout aux planches en couleurs. Celles-ci étant majoritairement consacrées aux maladies de la peau, il sut rapidement reconnaître l’acné rosacée, les taches de la dermatite herpétiforme, différencier le lupus erythémateux du lichen simplex. À la moindre rougeur sur son épiderme, il entrait en inquiétude. Ne serait ce pas un eczéma séborrhéique débutant? Mais c’était décidé, en dépit de ces craintes épisodiques, il serait docteur. Au cours de son initiation à la sémiologie, il a ressenti, tour à tour, les signes avant- coureurs de nombreux tableaux cliniques, dont la nature coïncidait volontiers avec les spécialités enseignées dans ses lieux de stage. Puis, avec l’expérience, il acquit le sens de la perspective, et tout rentra dans l’ordre. Le poids de la subjectivité lui revint, à la cinquantaine. Les épidémiologistes l’ont établi: avec le temps, les facteurs de risque s’enchevêtrent, se potentialisent, synergisent en hypocrites. Et, côté facteurs de risque, il se sait dans l’équivoque. Continuer la lecture

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Les trois poupées de Guillaume Apollinaire

Elles sont millésimées 1900. Ce qui fait qu’Apollinaire les a obtenues presque neuves. On ne le dirait pas quand on les redécouvre ternies par le temps, en ouvrant les trois boîtes en carton dans lesquelles elles gisent désormais, sous la protection de la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Ces poupées mesurent 44 centimètres de haut et sont trois: une femme, un militaire et Méphisto, l’exécuteur satanique. Lorsqu’en 1991 un livret a été publié, avec des photographies de Patrick Zachmann, présentant l’intérieur de l’appartement d’Apollinaire, elles y figuraient. Elles sont légendées comme étant des marionnettes, un texte de l’universitaire Michel Décaudin les présente également ainsi, mais ce sont pas des marionnettes. Sauf une, que l’on voit aussi sur le cliché avec la chasuble typique des marionnettes qui permettait de cacher les mains de l’animateur. En revanche, le verso des poupées trahit leur objet. Elles étaient destinées à la foire et plus précisément au jeu de massacre, c’est-à-dire qu’elles se prenaient des balles destinées à les faire chuter. Peut-être les gagnait-on après-coup, mystère, et les spécialistes des arts forains de cette époque se font rares. Continuer la lecture

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L’extraordinaire découverte de Léon Losseau

À en juger par le buste qui trône impérialement au milieu du salon, Léon Losseau (1869-1949) était un homme d’importance. Une personnalité connue et reconnue dans sa ville de Mons (Hainaut belge) où il était né au sein d’une famille très aisée. C’était l’époque où la grande bourgeoisie ne se contentait pas de faire fructifier sa fortune, elle voulait aussi favoriser le développement intellectuel, et se proposait même d’agir pour le bien public. Il fit partie de la plupart des sociétés savantes de sa ville, où on le connaissait comme avocat et juriste compétent à qui l’on confiait des expertises délicates. Son hôtel particulier, que l’on visite aujourd’hui, témoigne de son goût pour l’Art nouveau, associé à celui pour les techniques les plus modernes. Célibataire endurci (il vécut de façon fusionnelle avec sa mère Hemeline jusqu’au décès de celle-ci, en 1920), il manifestait son intérêt dans les domaines les plus divers.Toute sa vie il collectionna les médailles, les achetant en double pour pouvoir exposer les deux faces. Continuer la lecture

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L’IA pourrait mieux faire

Lorsque l’on demande à deux célèbres modules d’intelligence artificielle, combien y-a-t-il de voies en France portant le nom d’Apollinaire, les deux systèmes flanchent. Ils ont beau valoir des milliards, les deux IA sollicitées sèchent. Pourtant la question a été correctement posée. Elles se bornent à répondre (du moins dans leur version gratuite) qu’il existe bien une rue, au moins une dans le 6e arrondissement, mais avant de suggérer que le mieux serait d’aller consulter une base données spécialisées. On croyait que c’était un peu le boulot de l’IA justement, on pensait naïvement s’offrir un tour en Ferrari dans le cyberespace et on se retrouve avec un vieux tracteur butant sur la première souche venue. Peut mieux faire, le I-chaton. Nous avons donc, avec notre intelligence très ordinaire, sollicité le plus simple des moteurs de recherche, lequel nous a proposé un peu en-dessous du premier rang, une data base dont les origines devaient remonter aux tableurs de nos aïeux. Moyennant quoi nous sommes en mesure de faire part à nos lecteurs qu’entre les rues et les impasses, il existe 221 voies en France qui portent le nom de Guillaume Apollinaire, contre 621 à Picasso et 1000 à Victor Hugo. Continuer la lecture

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Énigmatiques soirées

Un des meilleurs écrivains anglais contemporains, Alan Hollinghurst, avait obtenu chez nous le Prix du Meilleur livre étranger en 2013 avec « L’enfant de l’étranger ». Auparavant, il avait reçu at home le Prix Somerset Maugham pour « La Piscine-bibliothèque » en 1989, puis le Booker Prize pour « La ligne de beauté » en 2004. Son éditeur français Albin Michel vient de publier le petit dernier (six cents pages quand même) sous le titre « Nos soirées » (« Our Evenings »), si bien qu’à soixante-et-onze ans, avec quelque sept ouvrages, sa réputation est considérable dans son pays. En France, il est moins connu que Jonathan Coe par exemple, peut-être parce qu’il est un écrivain au plein sens du terme, comme on n’en fait plus: il développe ses intrigues sur une longue période, trente ans, quarante ans, parfois plus, sachant étroitement tisser l’Histoire anglaise et les destinées de ses personnages, alternant traits essentiels et descriptions sensuelles. De quoi se demander pourquoi les romanciers français ne savent plus le faire… Continuer la lecture

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