Renée Hamon, le nom effacé d’un petit corsaire

La probabilité pour que deux personnes aient en même temps l’idée de rendre visite à Renée Hamon, là où elle est inhumée, est bien faible. Sauf miracle que l’on espère toujours un peu, instinctivement, la visite est solitaire. On distingue encore les deux noms de famille, sur la pierre couverte de lichens, située dans le quartier « C » du cimetière Saint-Gildas à Auray (56). Gontier, c’est là son origine limousine par sa mère. Et Hamon, son patronyme de naissance, qu’elle doit naturellement à son père breton. Cette grande amie de Colette (1873-1954) est née en 1897 à Vitré (35) et elle est décédée d’un cancer en 1943 à Vannes, avant d’être inhumée à Auray. Renée Hamon vouvoyait son aînée qui la tutoyait en retour, mais l’attachement était grand. Elle l’appelait son « Petit corsaire » car Renée était une aventurière, laquelle partit un jour en bateau, croiser dans les eaux tièdes du Pacifique. Dix ans après la mort de Colette, un livre fut publié à son sujet, intitulé « Lettres au petit corsaire ». Une centaine de lettres qui révélaient une affection mutuelle évidente. Sans compter l’admiration sans bornes que lui vouait sa destinataire. Continuer la lecture

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Transmission

Le critique-jardinier Alain Lompech, ancien du Monde et de France Musique, parle d’Alexandre Kantorow, vingt-sept ans, comme « le fabuleux pianiste que le monde entier nous envie ». Il dit aussi: « Il joue du piano comme un dieu. » Également salué par la critique comme « la réincarnation de Liszt » (Fanfare Magazine), le fils du violoniste Jean-Jacques Kantorow est incontestablement « le plus grand pianiste de sa génération ». À ce propos, on évoque depuis longtemps « l’école de piano russe« , mais jamais « l’école de piano française », alors que nous sommes bénis des dieux: aux cinquantenaires comme Frank Braley, Éric Le Sage ou Jean-Efflam Bavouzet, ont succédé les quarantenaires comme Bertrand Chamayou ou David Fray, puis les trentenaires comme Rémi Geniet, Adam Laloum ou Lucas Debargue. Des exemples parmi d’autres. Continuer la lecture

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Intuitions poétiques

La poésie étant notoirement inutile -et probablement tout autant indispensable- certains de ses officiants se permettent d’aborder des domaines réservés en principe à d’autres, plus habiles dans le maniement des concepts. Avec une pointe d’ironie, Émile Cioran avait qualifié l’un de ces penseurs plus ou moins officiels « d’entrepreneur d’idées » (1). À l’inverse des étudiants et des professeurs, poètes et artistes ne s’embarrassent généralement pas d’analyse intellectuelle pour transmettre leurs émotions.  Leur qualité de « voyant » (on ne remerciera jamais assez Arthur Rimbaud !) leur permet d’étonnantes prémonitions. Continuer la lecture

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Le lointain sens de la table

On nous raconte qu’en accostant du côté de Marseille, avec leurs bateaux chargés d’amphores emplies de vin et en poussant même jusqu’à Lattes (Hérault), les Étrusques nous ont amené le sens du banquet et aussi celui de « faire société » autour d’une activité. D’après ce que l’on a pu retrouver dans les tombes ou les métropoles émergées, ils pensaient que dans l’Hadès (l’au-delà), une partie non négligeable de la journée était consacrée à fêter cette deuxième existence, à festoyer autour d’une table. Les fouilles opérées de part et d’autre de la mer Tyrrhénienne, c’est-à-dire entre l’Italie, la Corse et la Sardaigne, laissent entendre qu’ils avaient le sens de la célébration, du moins pour les plus aisés, ceux qui avaient la possibilité de laisser des traces, y compris ad patres. Certaines tombes, certains hypogées étaient même la copie de leur maison de surface ce qui a permis aux archéologues d’avoir une bonne idée de cette civilisation qui vécut dans la prospérité (de l’exploitation de la vigne ou de la mine) du 9e au 1er siècle avant Jésus-Christ, jusqu’à ce que la société romaine notamment, les écrase ou les assimile. Un documentaire visible sur Arte jusqu’au 21 avril, nous captive facilement sur ce sujet, durant 90 minutes. Continuer la lecture

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Attention gallinacés

L’arrêt de la cour d’appel de Riom (7 septembre 1995) est resté fameux dans la sphère juridique, en décrivant ainsi la poule: « animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard); que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires. » À l’origine de ce commentaire, un conflit de proximité. Le sieur Rougier estimait trop bruyant et malodorant le poulailler de ses voisins. Le tribunal de Clermont-Ferrand lui avait donné raison, en ordonnant la destruction. Jugement, par conséquent, annulé en appel. Arrêt cependant contesté en cassation, la cour estimant trop générales les considérations relatives aux volailles, et, par ailleurs, « étrangères aux faits de l’espèce« , étant souligné que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », le dossier évoquant également des écoulements de purin très désagréables. Continuer la lecture

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À force de courbettes

Daniel Kehlmann s’est fait connaître mondialement en 2005 comme l’enfant prodige des lettres allemandes en publiant à trente ans « Les arpenteurs du monde », biographies mêlées de deux savants allemands, celles du naturaliste Alexander von Humboldt et du mathématicien Carl Friedrich Gauss. Le jeune écrivain austro-allemand avait trouvé son filon, renouvelant le roman dit historique en demeurant à la fois très fidèle aux vies des personnages et intensément personnel. Après plusieurs autres expériences similaires, il récidive aujourd’hui en publiant « Jeux de lumière », ou le destin de Georg Wilhem Pabst, mêlant la réalité aux rêves, le réalisme au fantastique, la satire à l’horreur des situations. Mais pourquoi Pabst ? Parce qu’il est le découvreur à la fois des légendaires Greta Garbo et Louise Brooks ? Parce qu’il est, avec Fritz Lang et F.W. Murnau, l’un des trois fondateurs du cinéma allemand, les grands maîtres de cet art total que fut le muet ? Parce que comme toute la bande des réfugiés du Reich, juifs ou ayant une femme juive, il chercha lui aussi le salut en s’embarquant pour Hollywood ? De Lubitsch à Billy Wilder, de Robert Siodmak à Otto Preminger ou Fritz Lang, de Fred Zinnemann à Douglas Sirk, ils sont tous là, même si Sirk ne se joint pas à la bande d’immigrés, qui ne lui plaît pas (voir mon article du 10 mars 2023). Continuer la lecture

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Tricheurs au sommet

Dans le monde de la triche, l’honnêteté est un univers bizarre dont on ne peut que deviner l’existence, derrière un miroir sans tain. Les gens honnêtes mais cupides constituent une matière de choix pour les arnaqueurs. Ils sont trois: Roy, Myra et Lilly. Le premier est interprété par John Cusack, la seconde par Annette Bening et la troisième par Anjelica Huston. Cette dernière est impériale dans « The grifters » ce film sorti en 1990 et qui revient enfin sur les écrans, après des années d’absence. Arte a eu la bonne idée de le programmer pour les 3, 6 et 14 mars. C’est une pépite à ne pas rater et il est même recommandé de le regarder plusieurs fois, tellement ce long métrage tiré d’un roman de Jim Thomson frise le sans-faute. Rien que du beau linge en outre puisqu’il est notamment produit par Scorcese et surtout réalisé par Stephen Frears. Une œuvre qui hantait la mémoire de ceux qui l’avaient vu à la sortie, guettant par la suite son apparition dans les bacs à DVD ou sur les plateformes de streaming. Arte a la main  lourde en ce moment en bons produits d’évasion et Dieu sait que les idées d’échappée nous taraudent. Continuer la lecture

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C’est Batz

Quand Apollinaire découvre pour la première fois la côte atlantique, il commence par la Baule puis explore quelque peu les environs. Il visite Guérande et aussi Bourg de Batz  (ou Batz-sur-Mer après 1931), desservis par le train. Lui le Méditerranéen, n’a pu manquer d’être frappé par cette mer agitée qui forme des champs de mousse blanche à chacune de ses frappes sur le littoral. Les vagues sont si impressionnantes que l’on attend la suivante avec l’espoir secret et enfantin qu’elle sera encore plus puissante que la précédente. Parfois l’eau monte avec la forme d’une flamme. Le fascinant spectacle arrête tous les visiteurs et même le joggeur ne peut s’empêcher d’y jeter un œil. À Batz, Apollinaire a laissé une trace. Dans ce qui est aujourd’hui le Musée des Marais Salants et autrefois le Musée des anciens costumes créé en 1887, il a apposé sa signature sur le registre des visiteurs. Cette excursion dans les environs de la Baule a eu une autre conséquence qui fera l’actualité cette semaine, le 27 février. Puisque sera mis aux enchères à partir de 14 heures, une carte postale adressée à l’artiste nantais Jean Émile Laboureur (1877-1943). Au recto l’on reconnaît Berlin et aussi l’écriture d’Apollinaire signifiant à son correspondant: « Cher ami, voudriez-vous m’envoyer à Paris un petit guide de Guérande. On en vend à Nantes il en est paru un cette année. » Continuer la lecture

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« Roman d’Arthur Rimbaud », l’éclat fugace des jours insouciants

Arthur Rimbaud, poète de la fulgurance et de la flamboyance, compose « Roman » lorsqu’il est adolescent: un âge où l’ivresse des premiers émois et l’insouciance du quotidien s’entrelacent dans un tourbillon de sensations. Ce poème n’est pas simplement une évocation de l’amour adolescent, mais un tableau vibrant de la jeunesse, du désir et du passage du temps. Rimbaud y peint avec simplicité une histoire qui pourrait être celle de n’importe qui, transformant le banal en poésie. Derrière la simplicité des vers, Rimbaud saisit avec une rare justesse la fugacité du bonheur propre à l’âge de dix-sept ans. Ce poème justement semble être une ode à la jeunesse, un instantané de l’adolescence où l’amour naissant et les errances nocturnes se mêlent à la légèreté de l’été. Continuer la lecture

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Les 90 ans d’un palais municipal

Première idée formidable: célébrer les 90 ans de l’Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt, chef d’œuvre architectural des années 30. Deuxième idée formidable: organiser une exposition dans la nef du bâtiment, le hall des guichets, cathédrale de lumière aux coursives d’acier éclairée par une verrière, haute de 22 mètres et longue de 65 mètres. Autant dire que le maire Pierre-Christophe Baguet (depuis le 21 mars 2008) ne s’est pas fait prier lorsque le service des archives lui a fait cette suggestion. Dès le début de l’exposition, on découvre d’étonnantes « plaques photographiques » datant de 1931 à 1944, affichées sur un panneau bleu sous le titre « Les Boulonnais dans les années 30 ». Les visiteurs boulonnais s’agglutinent à cet endroit, observant avec tendresse les photos des rues pouilleuses, déchiffrant sous leurs pieds une gigantesque vue aérienne de leur ville à l’époque. Des clichés témoignent de l’obsession hygiéniste de l’époque: « École de plein air: couture » nous montre une quinzaine de jeunes filles en short affairées à leur ouvrage, sagement assises sur des chaises en demi-cercle devant des arbres. « Gymnastique à l’école de plein air » nous offre cette fois une réjouissante série d’écoliers en short alignés sur plusieurs rangs dans une cour, tendant les bras à l’image de leur professeur en costume deux pièces sombre (sic). Continuer la lecture

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