Parapluie antique

Pour bien voir une sculpture double-face, ce n’est pas simple. Soit on prend une face comme parti pris en ignorant l’autre, soit on se positionne de côté ou de trois-quarts. La vue restera toujours imparfaite. Ce beau visage ci-contre en cache donc un autre mais on l’admire quand même. Il date de trois siècles avant notre ère et représente en format biface Hermès, divinité tellement polyvalente (messager des dieux, inventeur des poids et mesures…) qu’aujourd’hui encore il continuerait de produire à ce que l’on dit, des sacs à main, parfums et autres produits de luxe. Cet Hermès ci-dessus, divinité de l’Olympe, a été retrouvé du côté de Marseille, dans une région si ancienne qu’elle regorge et dégorge des antiquités presque à chaque fois que l’on y creuse un trou. Ce bel Hermès donc et pour finir, ne manquera pas, par son esthétisme raffiné, de surprendre le visiteur du Musée d’Histoire de Marseille qui se trouve à proximité du Vieux Port et quasiment sur un espace du port antique. D’une façon générale, tous les motifs sont bons pour entrer au musée. Ce jour-là il pleuvait beaucoup, la ville ruisselait par toutes ses rues et toutes ses rigoles, au point que les magasins commençaient à manquer de parapluies. Et il est toujours agréable de jumeler trois activités pas forcément compatibles, s’abriter, se sécher et se cultiver. Continuer la lecture

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Duettistes

Les bruits de la détestation entre Voltaire et Rousseau ont traversé près de trois siècles. Les spécialistes la datent du 8 août 1756, dans les suites d’un tremblement de terre à Lisbonne. Du drame naît entre eux une controverse sur la nature du mal. Mais elle était en genèse dans un incident antérieur, une manifestation banale dans le monde des lettres, la susceptibilité d’auteur. Remontons en février 1745. Ayant atteint la quarantaine, Voltaire est un dramaturge célèbre. Dans le cadre du mariage entre le Dauphin, fils de Louis XV et l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, il a reçu commande d’une comédie ballet, sur une musique de Rameau. Intitulée « La princesse de Navarre », elle rencontre un grand succès. Trois mois plus tard, à l’occasion de la victoire de Fontenoy, l’idée vient au duc de Richelieu de produire une version allégée de la pièce. Voltaire n’a ni le temps, ni l’envie de s’y coller. Le duc, alors, dégotte un jeune homme tentant de faire carrière dans la composition musicale, nommé Jean-Jacques Rousseau. Lequel prend soin, avant de se mettre à l’ouvrage, d’adresser à l’auteur une demande d’autorisation pleine de déférence. La réponse est certes positive, mais d’une cordialité de façade. Continuer la lecture

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Un relief au gouvernement

Quand voilà un peu plus de 100 ans, André Malraux, sa compagne Clara et son ami Louis Chevasson débarquèrent en Asie et plus précisément dans la campagne cambodgienne, c’était avec l’idée de récupérer des œuvres sur un temple en ruine et en tirer profit, une fois ramenées en Europe. Ce faisant, le futur ministre des Affaires culturelles du général de Gaulle procédait juridiquement à une extension massive de la mission dont on l’avait chargé. Comme l’écrivit Jean Lacouture dans « Malraux, une vie dans le siècle » (1973), Malraux avait pour l’occasion théorisé un principe bien pratique pour faire ce que l’on veut, « les risques courus » fondant « le droit au profit ». Il ne fallait pas pour autant, selon son biographe, « tirer trop bas » et réduire l’opération « à une opération de rapine », surtout s’agissant du futur auteur de la « Condition humaine ». Ni tirer trop haut en anoblissant une expédition, avec des aventuriers qui s’étaient tout de même munis de scies égoïnes afin de procéder commodément à des ablations d’art khmer.  Et il y aura cent ans cette année qu’André Malraux se fit deux fois (en première instance et en appel) condamner à de la prison par un tribunal de Phnom Penh. Moyennant quoi les œuvres ne quittèrent pas le pays. Et le très jeune homme qu’était Malraux (1901-1976) put finalement rentrer en France sans passer par la case zonzon, poursuivre une carrière peu ordinaire, entre littérature, guerre et fonction ministérielle. Continuer la lecture

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Manneken-Pis, petit héros de Mexico

De quoi pouvait-il donc parler, ce conférencier invité à Mexico au banquet de la colonie belge, le 21 juillet 1923, jour de la fête nationale de Belgique? Ceux qu’on n’appelait pas encore les «expat’» cultivaient fréquemment une forme de nostalgie plus ou moins prononcée pour le pays d’origine. Mais pour les natifs de ce petit territoire indépendant depuis moins d’un siècle et qui offre la particularité de réunir deux peuples de langues et de traditions différentes, comment trouver le sujet acceptable par les deux communautés ? Et au Mexique, qui avait été récemment l’objet de tensions et de bouleversements politiques, il ne faudrait pas qu’à leur tour, ces belgo-mexicains mêlassent imprudemment le genièvre et la tequila. Le thème choisi par l’invité d’honneur Auguste Génin pouvait contenter tout le monde. Le conférencier avait décidé de célébrer le personnage le plus populaire de la jeune Belgique (Tintin n’existait pas encore…) le Manneken-Pis de Bruxelles. Continuer la lecture

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Daaaaaali! film dada

Dali se plaint de ne pouvoir parler au téléphone car dehors, il voit qu’il pleut des grands chiens morts. C’est tout l’avantage de planter une caméra de l’autre côté du miroir, car tout y est permis. L’art de Quentin Dupieux est de ne pas utiliser cette licence pour faire n’importe quoi. Les rêves les plus bizarres ont une logique et son « Daaaaaali » (6 fois « a ») qui vient de sortir, a été doté d’une charpente et même de plusieurs charpentes. Là où il fait fort, c’est que l’on ne s’y perd pas. Dans la salle tout le monde se réjouit des premières images avec un Édouard Baer arborant les fameuses moustaches raidies à la brillantine. Il arpente un couloir sans fin (comme dans un rêve) et l’on se dit que possiblement on va bien rigoler. Mais pas vraiment, la suite nous donne tort. Quentin Dupieux pratique ici la métaphysique, l’absurde et le bizarre à haute dose. Son film aurait d’ailleurs bien mérité le label Dada (mouvement quelque peu entropique apparu et disparu début 20e), mais à ce niveau massif d’incongruités finalement on ne rit plus. On se retrouve dans cette conscience bien connue de rêver, on sait bien que l’on rêve, tout est étrange, aussi vrai que faux. Et l’on marche à pas prudents dans la combine. Continuer la lecture

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Marivaux bien servi

Vous reprendrez bien un peu de Marivaux ? Une nouvelle livraison du « Jeu de l’amour et du hasard » en l’occurrence, classique parmi les classiques. Et pourtant on redécouvre en ce moment au Lucernaire cette pièce presque tricentenaire (1730). Un nouveau printemps animé par «une bande de jeunes qui s’fend la gueule» si vous me permettez l’expression, elle dit bien la fougue de l’équipe de la compagnie l’Émeute. Qui donc déploie beaucoup d’énergie pour nous entraîner dans le labyrinthe du sentiment amoureux. Les chevaux sont lâchés, mais dans le respect de l’intrigue et de la langue originales. Le propos est donc souvent léger, car ici par définition règne le marivaudage, cet art du discours galant. C’est drôle aussi, et le jeu des comédiens n’y est pas étranger, par exemple Dennis Mader en Arlequin, valet en savoureux contre-emploi dans le costume de son maître. Ça court en tous sens et de tous côtés. Même l’ajout de quelques courts passages de musique « contemporaine » comme « Ti Amo » d’Umberto Tozzi tombe bien, avec ou sans boule à facettes. Continuer la lecture

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Secrets au bord du lac

«May December», dernier film de Todd Haynes, cinéaste indépendant américain de 63 ans, nous fait vivre une expérience étrange et nouvelle par rapport à ses films précédents: à la sortie de la salle, nous avons le sentiment d’être restés extérieurs à cette histoire, de n’avoir jamais pu la pénétrer. Sentiment conforté par ces plans répétés où la caméra effleure par larges travellings la surface du lac au bord duquel se situe la demeure, où la caméra caresse les plantes et les fleurs, où elle s’enfonce dans la profondeur des bois alentour. Comme si tout se déroulait à la surface de la nature inaltérable. Sans oublier le thème musical récurrent, riche de mystère et de nostalgie, puisqu’il s’agit d’une réécriture, par le Brésilien Marcelo Zarvos, de la bande originale du film de Joseph Losey «The go-between» (Le Messager, 1971), musique composée alors par Michel Legrand. Non seulement ce thème est proprement obsédant, mais il nous renvoie au passé, ce qui est le cœur même du film. Alors pourquoi avons-nous le sentiment d’être tenus à distance ? Continuer la lecture

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Un songe, une illusion, un mirage, un faux pas

Il y a des évidences qui ont été comprises bien tôt. S’il est dit couramment que pour vivre heureux il vaut mieux vivre dans l’anonymat, certains l’avaient théorisé il y a longtemps. D’autres en avaient fait des quatrains tel Omar Khayyâm qui vécut à Nichapur, l’actuel Iran, à partir du 11e siècle. Ses quatrains ou Rubâ’iyât, encensaient globalement l’art de vivre heureux, d’amour et de vin. Et donc quelque part et en quelque temps reculé, il avait écrit justement: « Si tu acquiers la renommée dans la cité on t’assassine!/Si tu te caches dans ton coin on te dit un instigateur!/Alors ne vaudrait-il pas mieux, fusses-tu Élie ou saint Georges/N’être lié à personne, de personne n’être connu? ». Fascinant personnage, Omar Khayyâm fut traduit par Pierre Seghers dans la seconde partie du 20e siècle. Et ce travail qui fait aujourd’hui autorité, accompagné d’une présentation biographique étincelante d’érudition, vient de ressortir aux éditions Seghers (dès le 8 février), dans un contexte géo-politique qui accentue l’intérêt de sa lecture. L’éditeur français en était tellement entiché que tout en haut du cimetière de Montparnasse, côté Raspail, il a été enseveli avec les carnets de vers de Omar Khayyâm. Continuer la lecture

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Cartoucherie

Le fait que le Musée Carnavalet s’intéresse jusqu’à la fin du mois à la période de la Régence (1715-1723) convoque en pensée le bandit Cartouche. Et il est pratiquement impossible de penser à Cartouche sans lui prêter les traits de Jean-Paul Belmondo dans le film signé Philippe de Broca sorti en 1962 et simplement intitulé « Cartouche » . Pas simple non plus de ne pas appeler le visage de Philippe Noiret dans « Que la fête commence » afin de mieux imaginer celui qui fit l’intérim du roi Louis XV, Philippe d’Orléans. Les deux films ont été des succès mérités. Avec le temps, les génériques des deux longs métrages sont presque devenus des requiem. Outre Belmondo et Noiret on pense pêle-mêle à Jean-Pierre Marielle, Jean Rochefort ou la regrettée Christine Pascal. C’est la force de ces films que d’avoir scellé irrésistiblement des masques sur les visages de personnages historiques. Justement, un jour que le Régent circulait grimé dans une fête qui se donnait au milieu du jardin des Tuileries, un faux abbé (ci-dessus par Bilibine) s’approcha de lui pour lui souffler l’imminence de la « conjuration de Cellamare ». Vivement intéressé le Régent convia discrètement l’homme chez lui afin d’avoir tous les détails. Sans vouloir connaître son identité il lui confia en guise de remerciement, une bague royale, censée le protéger le cas échéant. Continuer la lecture

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Incontournable blanquette

La blanquette de veau figure au répertoire culinaire français, en compagnie du bœuf bourguignon, du pot au feu, du navarin d’agneau, du petit salé aux lentilles, du civet de lièvre…… Elle est souvent dénommée «à l’ancienne», sur la carte des brasseries ou de certains restaurants, afin de conforter dans leurs certitudes les tenants de la tradition.
Au risque de les décevoir, le mode de préparation actuel du plat n’a que peu à voir avec la recette initiale, excepté son apparence. Une recette dénommée blanquette figure, pour la première fois, dans «Le cuisinier moderne», traité publié en 1735 par Vincent La Chapelle, à cette époque au service de madame de Pompadour. L’auteur y fait état d’une manière d’accommoder un restant de rôt. Cette pièce de viande, par conséquent déjà cuite, est coupée en tranches minces, mises à revenir (c’est-à-dire dorée au beurre dans une poêle). Celles ci sont ensuite recouvertes d’une sauce blanche, et servies en entrée, sans accompagnement. De cette couleur de la préparation, certains ont tiré l’origine de son appellation, du provençal blanqueto, diminutif de blanco. Mais d’autres se sont souvenu du passage de La Chapelle chez le comte de Chesterfield. Le traité mentionné plus haut a d’abord été rédigé en anglais, sous le titre «The modern cook», en 1733, et la préparation en cause intitulée veal blanquet du mot blanket signifiant couverture. Continuer la lecture

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