Sofia et Priscilla

Rappelez-vous, vers la fin du «Parrain3 » (1990), comment Mary Corleone s’effondre sur les escaliers de l’Opéra Massimo de Palerme, et comment son père brandit son cadavre à la face du ciel. Dans le rôle de la fille assassinée par erreur, Sofia Coppola, dix-huit ans, fille de Francis, engagée au dernier moment pour pallier au désistement de l’actrice prévue pour le rôle. La scène est doublement symbolique, car les Coppola ont tout d’un clan, le père associant étroitement sa famille à son destin. Après le succès inattendu et délirant du premier « Parrain » (une œuvre de commande), le roi du New Hollywood exigera que sa famille le suive sur ses tournages, et la petite fille traversera innocemment le tournage d’«Apocalypse Now» aux Philippines en 1976-77, l’un des plus dramatiques de l’histoire du cinéma, ou celui de «Cotton Club» en 1985, l’occasion pour elle de découvrir vraiment New York à treize ans. Plus tard, alors que son papa tourne «L’idéaliste» à Memphis, Tennessee, en 1997, elle découvre Graceland, la propriété très bling bling achetée par le roi du rock’n’roll Elvis Presley en 1957. L’ex femme du King, Priscilla, tient alors fermement en main la gestion de l’extravagant domaine, manoir, tombe, piscine, voitures, avions, costumes, disques d’or. Aujourd’hui, Graceland serait le deuxième site du pays le plus visité, après la Maison Blanche. Le King n’a-t-il pas été le précurseur du rock’n’roll et le premier Blanc à se déhancher comme un Noir sur scène ? Continuer la lecture

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Les pas éperdus

Saint-Lazare peut-être plus que d’autres gares, provoque cette sensation de machine à destin. C’était encore plus vrai lorsque l’on y prenait encore le train pour l’Amérique via le Havre ou Cherbourg. La gare Saint-Lazare y cycle et recycle tout un jusant d’hommes et de femmes toujours inquiets des horaires. « Nul ne gîte à Saint-Lazare, c’est un quartier de passe », écrivait finement l’écrivain Paul Guimard (1921-2004) qui vivait rue du Havre, à deux pas de la rue de Budapest, longtemps connue pour sa prostitution pas folichonne. Les éditions de l’Échappée, pour sa collection Paris Perdu, ont eu la bonne idée de racheter les droits de « Rue du Havre », un roman de Paul Guimard qui obtint le prix Interallié en 1957. Un film en avait été tiré mais il a moins laissé de traces dans les mémoires que « Les choses de la vie » de Claude Sautet, sorti en 1970 et justement adapté d’un roman de Guimard. Il n’en reste pas moins que ce livre qui est dès aujourd’hui sur les rayons des librairies, est une belle découverte, grâce entre autres choses à une écriture très plaisante, en raison d’un style fluide et inspiré dont on s’aperçoit au passage qu’on l’avait un peu perdu de vue. Continuer la lecture

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Aragon au-delà des limites

Ils se cherchaient un thème nouveau, une direction à prendre, quelque nom dont ils feraient une marque à l’huis des champs de conscience et il se sont rendu compte que Guillaume Apollinaire en avait laissé un exprès, sur l’étagère. Le mot surréalisme avait en effet été fort peu utilisé, juste une fois pour la représentation des « Mamelles de Tirésias » en juin 1917. Apollinaire en était l’auteur et il avait qualifié son drame de surréaliste. « Surréalisme n’existe pas encore dans les dictionnaires, avait-il précisé, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par les Philosophes. » N’en ayant par la suite ni enregistré le brevet, ni déposé la marque, la franchise était libre depuis le décès de l’inventeur. Ce qui fait qu’un certain nombre de poètes au début des années vingt, André Breton en tête, s’emparèrent de la dénomination pour en faire leur oriflamme d’explorateurs des banlieues de l’inconscient. André Breton (1896-1966) théorisa l’affaire et se fit à la fois gardien du temple, juge et procureur, à toutes fins utiles. Son manifeste du surréalisme parut en 1924 la même année qu’un texte moins connu de Louis Aragon (1897-1982), du même tonneau mais pas de la même encre. Les éditeurs faisant bien leur métier, « Une vague de rêves » vient de sortir cent ans après, aujourd’hui même chez Seghers. Continuer la lecture

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Andromaque du côté de chez Brook

Point de fioritures pour jouer le grand Shakespeare (1564-1616), nous avait dit en son temps Peter Brook (1925-2022), avec une version merveilleusement dépouillée d’“Hamlet” qui fit date. La tragédie y était réduite à sa plus substantifique moelle, écourtée et ramassée, certains comédiens allant jusqu’à jouer plusieurs rôles. Fidèle à sa théorie de “l’espace vide” (1), le metteur en scène avait une fois pour toutes placé l’être humain au cœur de son théâtre, dans un espace-temps qui concentrait la vie de la manière la plus dense. Ce qui vaut pour Shakespeare vaut aussi pour Racine; et le metteur en scène Jean-Yves Brignon semble un digne disciple du maître en nous donnant aujourd’hui à voir et à entendre une “Andromaque” (1667) à l’esthétique totalement “brookienne”. Dans une langue racinienne qui résonne ici d’une savoureuse clarté, avec en tout et pour tout quatre interprètes -mais quels interprètes !-, et une scénographie des plus sobres, il nous offre un spectacle d’une grande fluidité qui fait la part belle à la passion des sentiments. Continuer la lecture

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Derniers secrets

Heureusement que Bruno Monsaingeon a filmé longuement le légendaire baryton allemand Dietrich Fischer-Dieskau en 2008 dans sa belle demeure près de Munich, tranquillement, jour après jour. Deux légendes face à face, que la chaîne Mezzo nous a permis récemment de revoir. Si le nom de Glenn Gould (1932-1982) vous dit quelque chose aujourd’hui même si vous n’avez jamais assisté à ses concerts, c’est grâce à ce célèbre réalisateur fou de musique, né en 1943, adorateur du controversé pianiste canadien. Concerts, répétitions, retraites, portraits, fugues et partitas de Bach, le cinéaste ne cessera d’assouvir son obsession gouldienne, jusqu’à l’année 2006 où il proposera «Glenn Gould, au-delà du temps» (DVD Idéale Audience International). Tout aurait commencé pour lui par la découverte, à quatre ans, d’un 78 tours de Yehudi Menuhim (1916-1999) dans «La Danse hongroise en si mineur» de Brahms. Il doit patienter jusqu’à treize ans pour tenir son premier violon entre ses mains, et le coup de foudre avec Menuhim a lieu en 1962, lors d’une master-class à Darlington, dans le Devonshire anglais. Comme avec Gould, il est presque impossible de ne pas avoir vu un jour ou l’autre à la télévision des images signées Monsaingeon du phénomène américain naturalisé anglais, jusqu’à ce portrait autobiographique «Le violon du siècle» datant de 1995 (DVD Idéale Audience). Continuer la lecture

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Langue verte

Les éditions du Dilettante viennent de produire un recueil d’articles d’Alphonse Boudard, intitulé «Merde à l’an 2000».  Alphonse qui ? … « Alphonse Boudard, eh, pomme ! un mec dont l’existence ne fut pas toujours du sucre, mais qui connut la rédemption par l’écriture ». Michel Boudon, de son vrai blaze. Né, en 1925, d’un spermatozoïde de hasard et d’une mère vivant de ses charmes, il est placé chez des bouseux, près d’Orléans. À 7 ans, son aïeule le rapatrie à Pantruche, 13e arrondissement. La guerre le surprend ouvrier typographe. Son goût de la baguenaude le conduit dans un maquis FFI. On le retrouve à la libération de Paris, en plein rif, puis dans la colonne Fabien, chez les cocos. Il échoue enfin dans l’armée du père de Lattre, à la bataille de Colmar. Une blessure au fion lui vaut la croix de guerre. Démobilisé, il devient traîne-lattes, inapte à tout turbin pépère. Fatal, il glisse malfrat, pas par vice, juste pour retrousser l’oseille dont il a besoin. Tour à tour baluchonneur, perceur de coffiots, trafiquant de photos pornos ou de fausse mornifle, il s’ouvre ainsi un brillant parcours carcéral. Il le complète par un séjour en sana pénitentiaire, rapport à ses éponges mitées par le bacille. Continuer la lecture

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Enlacez qui vous voudrez

On sent bien que techniquement, dans l’expression bien galvaudée du « vivre-ensemble », une bonne intention est tapie. Le Larousse l’indique d’ailleurs, quand on utilise ce mot tandem, c’est pour signifier une « cohabitation harmonieuse entre individus ou entre communautés ». Cela relève pourtant de la confusion entre désir et réalité, ce que les Anglais qualifie wishful thinking. Cet élément de langage se retrouve dans presque toutes les communications, essentiellement dans les cénacles politiques. Ce qui ne manque pas de sel dans la mesure où l’entre-soi y est cultivé  avec grand soin à droite comme à gauche et quand on se croise, c’est de préférence avec des pincettes sur le nez. Mais cela touche aussi d’autres domaines où l’on n’hésite pas en France, tout comme à Hollywood, à décerner des trophées du vivre-ensemble avec un clin d’œil en forme de trait d’union. Cette scie linguistique que l’on ne manquera pas avant ou après, de la marquer d’un « du coup » bien senti, est en réalité un bobard massif gainé au tungstène. Et comme il sera bon le jour venu où quelqu’un s’avisera de changer de disque, de changer les couches du mantra, de coller la rengaine dans le tambour de la machine à laver. Continuer la lecture

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Pleins feux sur la création artistique des années 1905-1925 à Paris

L’époque fut incroyablement foisonnante; et tout autant l’exposition qui lui est consacrée au Petit Palais : “Le Paris de la modernité, 1905-1925”. Un parcours en 11 sections et près de 400 œuvres illustrent le bouillonnement artistique et culturel de cette période. De la Belle Époque aux années folles, Paris, on le sait, a attiré les artistes du monde entier, de Picasso à Modigliani, en passant par Chana Orloff ou Marie Vassilieff. Ville-Monde par excellence, elle fut la scène des innovations, avec son emblématique Tour Eiffel, maintes fois peinte par Robert Delaunay et dont une des représentations orne d’ailleurs l’affiche de l’exposition (un détail de “Paris – Die Frau und der Turm”, 1925). Les avant-gardes s’y déployaient dans tous les domaines artistiques: peinture, dessin, sculpture, photographie, cinéma, mode, mais aussi littérature, musique, danse, architecture, design… Mais les inventions n’étaient pas qu’artistiques et la création ne se cantonnait pas uniquement aux quartiers de Montmartre et de Montparnasse. Continuer la lecture

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Gangs célestes

Au milieu de l’avalanche de fictions qui occupent toutes sortes d’écrans, les documentaires font mieux que bonne figure. Ils offrent même une agréable diversion face aux romans filmés dont on finit par deviner les ficelles à force d’en ingurgiter les intrigues. La chaîne Arte, à raison très sélective, vient de frapper les trois coups avec une bonne série documentaire en trois volets et en trois heures sur les triades (mot qui signifie trois) chinoises. Et singulièrement sur leur prospérité galopante à travers le globe, sachant que le trajet de leurs intérêts, guidé par le lucre, apparaît comme irrésistible et tentaculaire. Leur puissance financière est déconcertante. Tout comme la décontraction des différents chefs qui avouent sans peine, face caméra, les activités criminelles des organisations qu’ils fédèrent, allant du jeu à la prostitution, du blanchiment d’argent aux prêts sur gage. Le documentaire de Antoine Vitkine (2023) laisse bien souvent pantois avec des scènes très crues de victimes baignant dans leur sang sauf qu’au contraire de la fiction, personne ici ne joue la comédie. À une nuance près puisque, averties des vertus de la communication, les triades se sont mises au cinéma. Continuer la lecture

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Projeté dans le passé

Qu’est-ce qui fait une bonne, voire une grande série télévisée, alors que la créativité a depuis longtemps quitté les grands écrans bourrés d’effets spéciaux au profit de nos petites lucarnes ? Parions que bien des aficionados répondraient aussitôt : «Une grande série, c’est une série anglaise !». Pourtant, au palmarès international, figurent «Sur écoute» («The Wire»), saga policière virulente et modèle située à Baltimore, ou «Les Soprano» du New Jersey du début des années 2000 avec les inoubliables séances du chef maffieux Tony chez sa psy. Ou encore «Avocats sur mesure» («Suits»), chez les très chics et étourdissants avocats newyorkais. Les Français ont plus de mal avec le genre, la télévision ne figurant pas dans la culture nationale, mais ils apprennent peu à peu… Les Anglais quant à eux ont une sérieuse avance sur nous. Leurs meilleurs créateurs ont d’emblée consacré leur talent au petit écran sans aucun mépris culturel, avec la BBC ou Channel Four à leur tête. Continuer la lecture

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