Gangs célestes

Au milieu de l’avalanche de fictions qui occupent toutes sortes d’écrans, les documentaires font mieux que bonne figure. Ils offrent même une agréable diversion face aux romans filmés dont on finit par deviner les ficelles à force d’en ingurgiter les intrigues. La chaîne Arte, à raison très sélective, vient de frapper les trois coups avec une bonne série documentaire en trois volets et en trois heures sur les triades (mot qui signifie trois) chinoises. Et singulièrement sur leur prospérité galopante à travers le globe, sachant que le trajet de leurs intérêts, guidé par le lucre, apparaît comme irrésistible et tentaculaire. Leur puissance financière est déconcertante. Tout comme la décontraction des différents chefs qui avouent sans peine, face caméra, les activités criminelles des organisations qu’ils fédèrent, allant du jeu à la prostitution, du blanchiment d’argent aux prêts sur gage. Le documentaire de Antoine Vitkine (2023) laisse bien souvent pantois avec des scènes très crues de victimes baignant dans leur sang sauf qu’au contraire de la fiction, personne ici ne joue la comédie. À une nuance près puisque, averties des vertus de la communication, les triades se sont mises au cinéma. Continuer la lecture

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Projeté dans le passé

Qu’est-ce qui fait une bonne, voire une grande série télévisée, alors que la créativité a depuis longtemps quitté les grands écrans bourrés d’effets spéciaux au profit de nos petites lucarnes ? Parions que bien des aficionados répondraient aussitôt : «Une grande série, c’est une série anglaise !». Pourtant, au palmarès international, figurent «Sur écoute» («The Wire»), saga policière virulente et modèle située à Baltimore, ou «Les Soprano» du New Jersey du début des années 2000 avec les inoubliables séances du chef maffieux Tony chez sa psy. Ou encore «Avocats sur mesure» («Suits»), chez les très chics et étourdissants avocats newyorkais. Les Français ont plus de mal avec le genre, la télévision ne figurant pas dans la culture nationale, mais ils apprennent peu à peu… Les Anglais quant à eux ont une sérieuse avance sur nous. Leurs meilleurs créateurs ont d’emblée consacré leur talent au petit écran sans aucun mépris culturel, avec la BBC ou Channel Four à leur tête. Continuer la lecture

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Le délicat palais de sœur Juliette

La description technique est moins impressionnante que l’image mais quand même remarquable. Le Salammbô de Carthage est un « chou en forme de demi-lune garni d’une crème diplomate parfumée d’un soupçon de miel d’oranger ainsi que de fleur d’oranger » et échafaudé avec « du cœur en pâte de figues sèches ou gelée de figues selon la saison ». Il ne serait pas terminé sans un « fondant blanc pailleté d’argent ou d’or sur le dessus rappelant la couleur de la lune ». Juliette Nothomb, la sœur aînée de l’autre, en a fait tout un chapitre dans son livre consacrée à Méert, la pâtisserie lilloise que le monde entier nous envie. Et en exergue de la gourmandise en question, Marguerite Yourcenar, femme qui envoyait aux orties tout scrupule diététique dès lors qu’il s’agissait d’aller tapisser son palais d’une gaufre au beurre vanillé à la malgache. Elle aurait pu d’emblée parler de Flaubert puisque Salammbô  est le titre d’une de ses publications (elle le précise d’ailleurs plus loin) mais les liens de Gustave Flaubert le Normand avec le salon de thé lillois sont encore à trouver. Comme le dit l’auteur de cet ouvrage qui donne faim, avec Marguerite Yourcenar, « comme caution à l’exquisité, on fait difficilement mieux ». Sauf que précise-t-elle, la tendance est désormais à « nommer une recette en fonction de ses ingrédients » et non plus par rapport au nom d’une célébrité qui y serait associée. Continuer la lecture

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Orgueil en proue

De loin l’on dirait César, mais de près, une notice indique qu’il s’agit de Napoléon. La sculpture a été réalisée au milieu du 19e siècle, possiblement dans un atelier de Brest. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’ils ont gonflé l’effigie au maximum avec des biceps d’haltérophile. En tout cas si l’idée était de personnifier la puissance, c’est réussi.  Ce buste avait vocation à jouer les figures de proue sur le vaisseau Iéna, comme le confirme une photo du Musée de la Marine à Paris. Plusieurs fois refait, le navire de ce que l’on en sait, fut déchu de son beau rôle pour finir comme cible d’entraînement. Et ce Napoléon imposant, eu égard à sa taille réelle (1,68 mètre environ), est inratable au fond du Musée National de la Marine refait à neuf. Ce qui est intéressant c’est cette place que la scénographie a dévolue aux figures de proue qui n’ont pas survécu à la modernité. On ne les voit plus, ni sur les navires, ni sur les avions, ni sur les fusées alors qu’elles représenteraient, surtout dans leur version féminine, une part de ce qu’il y a de mieux dans l’humanité, la gratuité du geste, de l’intention et l’art pour l’art. On en trouvait encore sur les automobiles anciennes, mais à part les Rolls Royce, c’est terminé. Même pas au bénéfice de la poupe d’ailleurs, soit dit au passage mais c’est un autre sujet (de fond). Continuer la lecture

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L’inquiétude d’Anselm Kiefer 

Si son œuvre ne suscite la plupart du temps qu’éloges et compliments, Anselm Kiefer est parfois victime de cette réputation. Il y a deux ans, lors de son installation à la mémoire du poète Paul Celan, au Grand Palais éphémère, un critique n’hésita pas à évoquer le risque d’«overdose».  Il «ne se renouvelle pas, il exploite la même veine» écrivait le journaliste parisien jugeant l’exposition «compassée». Outre que si le plasticien allemand proposait brutalement tout autre chose, on ne manquerait pas de le lui reprocher, il est peu probable que le visiteur du LaM à Villeneuve d’Ascq ressente la même fâcheuse impression. Présentée pour célébrer les quarante ans de l’établissement nordiste qui propose à la fois art moderne, art contemporain et art brut, cette riche exposition vise à mettre en avant l’importance du travail photographique chez Kiefer. Pour bien en profiter, il ne peut être qu’avantageux de visionner le beau documentaire signé par son compatriote Wim Wenders (ils sont nés tous les deux en 1945) «Anselm, Le Bruit du temps», sorti en octobre dernier. Le cinéaste a le bon goût de laisser le silence s’installer dans ce film où l’on voit le plasticien déambuler à vélo dans l’un de ses gigantesques ateliers à Barjac, dans le Gard (une ancienne magnanerie) ou à Croissy-Beaubourg en Seine-et-Marne (les anciens entrepôts de la Samaritaine).  Continuer la lecture

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Terminus Apollinaire

Il y a, à la sortie de la gare de Reims, une ligne de bus qui ne manque pas de troubler le voyageur averti des choses de la poésie. Comme indiqué sur le fronton du bus de la ligne 7, le terminus est Apollinaire. On peut dire terminus ou arrivée lorsque l’on part de la gare mais à l’inverse, depuis ce quartier construit après-guerre qui jouxte l’avenue de Champagne, le mot sonne davantage comme un départ. Reims (Marne) a ceci de supérieur à Paris (Seine) que la ville cumule une ligne de bus, une rue et un parc qui portent le nom d’Apollinaire. De surcroît, il vient d’être lancé un projet de réfection de ce parc, ce qui donne à cette dernière chronique 2024 le parfum de l’actualité brûlante. Le lieu concerné  compte actuellement un grand espace engazonné pour jouer au foot et un boulodrome. Il est bien de persister à baptiser des lieux ou des trajets, à notre époque où l’on a tendance à débaptiser ce qui ne convient plus aux nouvelles morales. Il est bon aussi de parler de Guillaume Apollinaire en cette fin d’année avec une autre actualité, un peu anecdotique certes, mais édifiante. Il se trouve qu’au début du mois de janvier, à Vannes (Morbihan), aura lieu la mise à l’encan d’une lettre autographe signée de Franz Toussaint (1879-1955) écrivain et orientaliste français. Continuer la lecture

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Les calligraphies des rois de l’Empire du milieu, une source d’inspiration intarissable

«Les inscriptions des rois et leurs interprétations contemporaines», voici une exposition toute en calligraphie, très originale, du musée de l’Université de Hong Kong, l’University Museum and Art Gallery. La juxtaposition d’œuvres d’art historiques et contemporaines chamboule les habitudes. Ce procédé d’exhibition percutant élargit le champ des interprétations possibles des écrits exposés. Au départ, afin de s’y retrouver dans ce voyage à plusieurs dimensions dans l’espace et dans le temps, le pèlerin suit, tel le petit poucet, des reproductions manuscrites de stèles gravées à l’encre (technique d’inscription appelée beike), semées jadis, par mont et par vaux, par les rois de l’Empire du milieu. Pour mémoire, ce marquage de territoire servait à commémorer les exploits de ces derniers et à ne jamais les oublier. L’hôte du bâtiment historique Fung Ping Shan, datant de 1932 et abritant aujourd’hui le musée, commence donc son périple en compagnie de Qin Shi Huang (de 259 à 210 avant notre ère), le fondateur de la dynastie des Qin, à l’origine de la première monarchie centralisée de l’histoire de Chine. Doit-on également rappeler sa renommée mondiale pour son héritage funéraire de l’armée de terracotta, au pied du Mont Li (à Xi’An)? Continuer la lecture

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Rencontre au sommet pour une journée particulière

Le film d’Ettore Scola “Une journée particulière” (1977), par son déroulement à huis clos, se prête tout particulièrement à la scène.  D’ailleurs, dès 1982, il avait fait l’objet d’une adaptation théâtrale par l’épouse même du réalisateur, Gigliola Fantoni, le coscénariste Ruggero Macari et la traductrice Huguette Hatem. À l’époque, la pièce avait été mise en scène par Françoise Petit et jouée par Nicole Courcel et Jacques Weber, tous deux interprétant les rôles tenus à l’écran avec maestria par Sophia Loren et Marcello Mastroianni. Aujourd’hui, c’est Lilo Baur qui signe une nouvelle création de cette adaptation scénique, avec Laetitia Casta et Roschdy Zem dans les rôles titres. Cette comédie dramatique, par sa construction, rappelle d’ailleurs la tragédie classique avec la règle des trois unités : l’unité de lieu (l’immeuble), d’action (une seule intrigue) et de temps (une seule journée). Très fidèle au film, la pièce est un plaidoyer contre l’obscurantisme, le machisme et l’homophobie dans l’Italie fasciste de Mussolini, à la portée intemporelle. C’est aussi une très belle histoire: la rencontre entre deux êtres que tout oppose et qui vont apprendre, le temps d’une journée, à se connaître et à s’aimer. Continuer la lecture

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Oaxaca, la belle Mexicaine

Sitôt le pied posé dans la ville d’Oaxaca, on est saisi par le charme de ce petit bijou du sud du Mexique, posé à 1500 mètres dans une vallée entourée des montagnes. Dans la lumière dorée de ses rues, une explosion de couleurs vives, de saveurs, d’odeurs, de bruits chatouillent tous nos sens. Un tourbillon culturel, fait de musiques joyeuses et de célébrations incessantes, nous happe. C’est sans doute l’une des villes historiques les plus attrayantes du Mexique avec ses rues pavées dégringolant la colline, ses vieilles églises à dômes vernissés, ses beaux édifices coloniaux très colorés qui ouvrent sur des patios à arcades. L’une des plus agréables à vivre aussi, malgré la pollution et les pétarades des bus et motos, grâce à son animation culturelle. Oaxaca est réputée pour sa gastronomie, sa richesse artistique et ses traditions indigènes encore vivantes. Dans l’État d’Oaxaca, les vallées sont restées longtemps enclavées, ce qui explique qu’un grand nombre d’ethnies indiennes (environ 60% de la population) aient su conserver leurs coutumes, leur langue parfois, et leur artisanat raffiné. Continuer la lecture

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Les révolutions Callas

En cette année de célébration du centième anniversaire de la naissance de Maria Callas en 1923 à New York, le mythe Callas demeure intact sur tous les plans. On peut dire que rien n’a changé depuis le jour de sa mort solitaire et prématurée, à 54 ans, le 16 septembre 1977, 36 avenue Georges Mandel à Paris. Tout fut et demeure mythique chez elle, à commencer par le jour exact de sa naissance (le 3 décembre? le 4? en fait le 2…) ou la cause de sa mort (accident cardiaque? suicide?). Mourir si jeune ne faisant qu’ajouter du mythe au mythe. Autre mythe et autre paradoxe: si sa gloire lyrique, le sommet de son art, comme on dit, ne dépasse pas pour certains dix années (les années 1950), pour d’autres disons quinze ans, jusque vers 1965, il y a tout simplement un avant et un après Callas dans l’histoire de l’opéra. Elle a révolutionné le genre lyrique et l’a remis au goût du jour. En dix, quinze ans, pas plus. Ne l’oublions pas. Continuer la lecture

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