L’inquiétude d’Anselm Kiefer 

Si son œuvre ne suscite la plupart du temps qu’éloges et compliments, Anselm Kiefer est parfois victime de cette réputation. Il y a deux ans, lors de son installation à la mémoire du poète Paul Celan, au Grand Palais éphémère, un critique n’hésita pas à évoquer le risque d’«overdose».  Il «ne se renouvelle pas, il exploite la même veine» écrivait le journaliste parisien jugeant l’exposition «compassée». Outre que si le plasticien allemand proposait brutalement tout autre chose, on ne manquerait pas de le lui reprocher, il est peu probable que le visiteur du LaM à Villeneuve d’Ascq ressente la même fâcheuse impression. Présentée pour célébrer les quarante ans de l’établissement nordiste qui propose à la fois art moderne, art contemporain et art brut, cette riche exposition vise à mettre en avant l’importance du travail photographique chez Kiefer. Pour bien en profiter, il ne peut être qu’avantageux de visionner le beau documentaire signé par son compatriote Wim Wenders (ils sont nés tous les deux en 1945) «Anselm, Le Bruit du temps», sorti en octobre dernier. Le cinéaste a le bon goût de laisser le silence s’installer dans ce film où l’on voit le plasticien déambuler à vélo dans l’un de ses gigantesques ateliers à Barjac, dans le Gard (une ancienne magnanerie) ou à Croissy-Beaubourg en Seine-et-Marne (les anciens entrepôts de la Samaritaine).  Continuer la lecture

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Terminus Apollinaire

Il y a, à la sortie de la gare de Reims, une ligne de bus qui ne manque pas de troubler le voyageur averti des choses de la poésie. Comme indiqué sur le fronton du bus de la ligne 7, le terminus est Apollinaire. On peut dire terminus ou arrivée lorsque l’on part de la gare mais à l’inverse, depuis ce quartier construit après-guerre qui jouxte l’avenue de Champagne, le mot sonne davantage comme un départ. Reims (Marne) a ceci de supérieur à Paris (Seine) que la ville cumule une ligne de bus, une rue et un parc qui portent le nom d’Apollinaire. De surcroît, il vient d’être lancé un projet de réfection de ce parc, ce qui donne à cette dernière chronique 2024 le parfum de l’actualité brûlante. Le lieu concerné  compte actuellement un grand espace engazonné pour jouer au foot et un boulodrome. Il est bien de persister à baptiser des lieux ou des trajets, à notre époque où l’on a tendance à débaptiser ce qui ne convient plus aux nouvelles morales. Il est bon aussi de parler de Guillaume Apollinaire en cette fin d’année avec une autre actualité, un peu anecdotique certes, mais édifiante. Il se trouve qu’au début du mois de janvier, à Vannes (Morbihan), aura lieu la mise à l’encan d’une lettre autographe signée de Franz Toussaint (1879-1955) écrivain et orientaliste français. Continuer la lecture

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Les calligraphies des rois de l’Empire du milieu, une source d’inspiration intarissable

«Les inscriptions des rois et leurs interprétations contemporaines», voici une exposition toute en calligraphie, très originale, du musée de l’Université de Hong Kong, l’University Museum and Art Gallery. La juxtaposition d’œuvres d’art historiques et contemporaines chamboule les habitudes. Ce procédé d’exhibition percutant élargit le champ des interprétations possibles des écrits exposés. Au départ, afin de s’y retrouver dans ce voyage à plusieurs dimensions dans l’espace et dans le temps, le pèlerin suit, tel le petit poucet, des reproductions manuscrites de stèles gravées à l’encre (technique d’inscription appelée beike), semées jadis, par mont et par vaux, par les rois de l’Empire du milieu. Pour mémoire, ce marquage de territoire servait à commémorer les exploits de ces derniers et à ne jamais les oublier. L’hôte du bâtiment historique Fung Ping Shan, datant de 1932 et abritant aujourd’hui le musée, commence donc son périple en compagnie de Qin Shi Huang (de 259 à 210 avant notre ère), le fondateur de la dynastie des Qin, à l’origine de la première monarchie centralisée de l’histoire de Chine. Doit-on également rappeler sa renommée mondiale pour son héritage funéraire de l’armée de terracotta, au pied du Mont Li (à Xi’An)? Continuer la lecture

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Rencontre au sommet pour une journée particulière

Le film d’Ettore Scola “Une journée particulière” (1977), par son déroulement à huis clos, se prête tout particulièrement à la scène.  D’ailleurs, dès 1982, il avait fait l’objet d’une adaptation théâtrale par l’épouse même du réalisateur, Gigliola Fantoni, le coscénariste Ruggero Macari et la traductrice Huguette Hatem. À l’époque, la pièce avait été mise en scène par Françoise Petit et jouée par Nicole Courcel et Jacques Weber, tous deux interprétant les rôles tenus à l’écran avec maestria par Sophia Loren et Marcello Mastroianni. Aujourd’hui, c’est Lilo Baur qui signe une nouvelle création de cette adaptation scénique, avec Laetitia Casta et Roschdy Zem dans les rôles titres. Cette comédie dramatique, par sa construction, rappelle d’ailleurs la tragédie classique avec la règle des trois unités : l’unité de lieu (l’immeuble), d’action (une seule intrigue) et de temps (une seule journée). Très fidèle au film, la pièce est un plaidoyer contre l’obscurantisme, le machisme et l’homophobie dans l’Italie fasciste de Mussolini, à la portée intemporelle. C’est aussi une très belle histoire: la rencontre entre deux êtres que tout oppose et qui vont apprendre, le temps d’une journée, à se connaître et à s’aimer. Continuer la lecture

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Oaxaca, la belle Mexicaine

Sitôt le pied posé dans la ville d’Oaxaca, on est saisi par le charme de ce petit bijou du sud du Mexique, posé à 1500 mètres dans une vallée entourée des montagnes. Dans la lumière dorée de ses rues, une explosion de couleurs vives, de saveurs, d’odeurs, de bruits chatouillent tous nos sens. Un tourbillon culturel, fait de musiques joyeuses et de célébrations incessantes, nous happe. C’est sans doute l’une des villes historiques les plus attrayantes du Mexique avec ses rues pavées dégringolant la colline, ses vieilles églises à dômes vernissés, ses beaux édifices coloniaux très colorés qui ouvrent sur des patios à arcades. L’une des plus agréables à vivre aussi, malgré la pollution et les pétarades des bus et motos, grâce à son animation culturelle. Oaxaca est réputée pour sa gastronomie, sa richesse artistique et ses traditions indigènes encore vivantes. Dans l’État d’Oaxaca, les vallées sont restées longtemps enclavées, ce qui explique qu’un grand nombre d’ethnies indiennes (environ 60% de la population) aient su conserver leurs coutumes, leur langue parfois, et leur artisanat raffiné. Continuer la lecture

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Les révolutions Callas

En cette année de célébration du centième anniversaire de la naissance de Maria Callas en 1923 à New York, le mythe Callas demeure intact sur tous les plans. On peut dire que rien n’a changé depuis le jour de sa mort solitaire et prématurée, à 54 ans, le 16 septembre 1977, 36 avenue Georges Mandel à Paris. Tout fut et demeure mythique chez elle, à commencer par le jour exact de sa naissance (le 3 décembre? le 4? en fait le 2…) ou la cause de sa mort (accident cardiaque? suicide?). Mourir si jeune ne faisant qu’ajouter du mythe au mythe. Autre mythe et autre paradoxe: si sa gloire lyrique, le sommet de son art, comme on dit, ne dépasse pas pour certains dix années (les années 1950), pour d’autres disons quinze ans, jusque vers 1965, il y a tout simplement un avant et un après Callas dans l’histoire de l’opéra. Elle a révolutionné le genre lyrique et l’a remis au goût du jour. En dix, quinze ans, pas plus. Ne l’oublions pas. Continuer la lecture

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Emma la clown, le rire libérateur

Emma la clown a 32 ans. Déjà ? Eh oui. Et elle en a fait du chemin, Emma, depuis qu’elle fut inventée en 1991 par Merieme Menant pour la création d’un duo de clowns visuel et musical avec Gaetano Lucido. Quatre années de tournée et de compagnonnage plus tard, elle continuait la route seule, se produisant dans les cabarets, les festivals, les premières parties de Buffo et d’Anne Sylvestre. Puis, à partir de 1998, vinrent les spectacles: “Emma la clown”, “Emma la clown : l’heureux Tour”… Elle voulait devenir un ange ; elle nous parlait du monde… Car la clown est bavarde. La scène est le lieu de toutes ses projections, de son parcours intérieur qu’elle tend aux spectateurs, tel un miroir, avec drôlerie et poésie. La semaine passée, elle se produisait trois jours à La Scala, à Paris, avec trois emblématiques solos qu’elle présentait à tour de rôle : “Emma sous le divan”, “Emma Mort, même pas peur” et “Qui demeure dans ce lieu vide ?” Cette trilogie était l’occasion de faire le point avec le public et avec elle-même. Et nous expérimentions nous aussi, dans un grand rire libérateur, la souffrance d’exister, la peur de la finitude totale et l’apprentissage vertigineux du vide. Avec une clown à l’apogée de son art ! Continuer la lecture

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Nanard

La crèche provençale a la particularité de mêler sacré et profane. Elle comporte, bien sûr, la Sainte famille du Nouveau testament, Marie, Joseph, le petit Jésus, les bergers et leurs moutons, et, à l’Épiphanie, Balthazar, Melchior et Gaspard, les trois rois mages. Se joignent à eux les habitants d’un village du Midi, sous le patronage de l’Ange Boufareù, le maire, le curé, le meunier, le tambourinaire, le gendarme, la poissonnière, le boumian, le pistachier, l’Arlésienne… Sans oublier le ravi. Cette année apparaît un petit nouveau, le Bernard Tapie. Un santon spécifique a en effet été créé cette année par un atelier d’Aubagne. Il est vêtu de son blazer bleu, portant la «coupe aux grandes oreilles». Ainsi dénomme-t-on, à Marseille, le trophée du tournoi annuel européen des clubs champions de l’UEFA ( Union Européenne des Associations de Football), gagnée par l’Olympique de Marseille contre l’Associazione Calcio Milan, le 26 mai 1993. Selon la guillerette métaphore du principal intéressé, tout à la fois propriétaire et président du club, cette coupe ne va pas tarder «à être remplie de merde». Continuer la lecture

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Colette et les bêtes

Alors qu’on célèbre le 150e anniversaire de la naissance de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye, petit village de Bourgogne, il faut relire «Douze dialogues de bêtes». Surtout si on aime «les animaux non humains», comme elle disait. En dehors de «L’entrave» (1913), toute son œuvre est couverte de chiens, chats, serpents, couleuvres, bombyx, papillons, écureuils, singes, oiseaux et autres animaux «sauvages», appartenant simplement pour elle à un temps plus ancien que le nôtre. Quel autre écrivain français les a chantés comme elle sans le moindre anthropomorphisme, Dieu merci ? Dès 1904, elle faisait paraitre «Dialogues de bêtes» sous la signature de Colette Willy. Elle s’en est expliquée dans «Mes apprentissages» (1936) : «Je m’éveillais vaguement à un devoir envers moi-même, celui d’écrire autre chose que les Claudine.» Elle a trente-et-un an, et vit depuis onze ans sous la férule de son mari journaliste, Henri-Gauthier Villars dit Willy, quinze ans de plus qu’elle, chauve, ventru et moustachu, et maître d’une écurie de «nègres», à commencer par sa jeune femme. C’est lui qui lui ordonna de prendre la plume pour raconter ses souvenirs d’écolière, elle qui n’avait jamais ressenti «le prurit» de l’écriture. Et naturellement, on ne saura jamais si Colette (1873-1954) serait devenue Colette sans l’injonction de Willy… Continuer la lecture

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Le vitrail et pas l’émail

La jeune femme est à l’œuvre, tenant son pinceau de la main droite et un vase de la main gauche. Derrière le ciel est séparé de bandes bleues et blanches. Et le couloir bleu qui coule en bas c’est la Vienne, avec en arrière-plan quelque chose qui doit être la ville de Limoges. Francis Chigot a grandi dans cette ville depuis 1879, l’année où il vit le jour.  Devenu maître verrier c’est tout naturellement qu’il a traité sa région. Ce vitrail est visible actuellement à Troyes dans le cadre d’une exposition temporaire intitulée « Un monde de lumières ». Comme la scénographie est bien faite, il est possible au visiteur de comparer la gouache du départ, signée Léon Jouhaud et ce qu’il en advient, une fois transposé sur du verre (ci-contre). Le vitrail y perd en nuances ce qu’il y gagne en force. La simplification s’opère au bénéfice de l’essentiel. Cette « Émaillerie limousine » date de 1908 et relève de l’Art Nouveau tandis que les années passant, la production de Francis Chigot rejoindra l’Art Déco, ce style aussi éphémère qu’élégant et moderne en diable. Disparu en 1960 à quatre-vingt ans l’artiste, par ailleurs amateur de jazz et d’opéra,  suivait son époque, ce qui lui permettait de mieux garnir son carnet de commandes et de faire vivre son atelier. Continuer la lecture

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