La couverture, qui reprend un projet d’affiche de 1913, est de Sonia Delaunay. Son texte n’a pas de rapport avec le contenu de la revue. Il faudra se référer au bandeau (s’il est encore présent) qui indique: « Salut Blaise Cendrars », suivi d’une bonne vingtaine de noms d’écrivains ou d’artistes connus comme Jean Cocteau, André Malraux, René Char, Jules Romains ou Fernand Léger. Publié il y a tout juste soixante-dix ans (1954), cet hommage à Cendrars constitue aujourd’hui encore un document d’importance quant à la place de l’écrivain suisse dans la littérature du XXe siècle. Il s’agissait du numéro 9-10 de la modeste revue littéraire « Risques », créée en 1950 dans la région lilloise par trois jeunes journalistes passionnés de littérature: Jean Wagner qui sera par la suit un critique de jazz réputé; le jeune poète Roger Quesnoy, dont l’œuvre est aujourd’hui reconnue et qui deviendra rédacteur en chef adjoint du quotidien La Voix du Nord; et un autre journaliste Michel Salès. Avec les moyens du bord mais aussi avec l’audace de la jeunesse, ils décident de consacrer un numéro spécial à l’auteur de « La Prose du Transsibérien » alors âgé de 67 ans. Ils envoient par courrier un questionnaire aux écrivains ou artistes renommés de l’époque. Eux-mêmes parviennent à obtenir un rendez-vous avec l’écrivain suisse. Ce fut une passionnante soirée de discussions …et de franches libations. Roger Quesnoy se souviendra longtemps de la dextérité avec laquelle Cendrars qui, comme chacun sait, avait perdu un bras à la guerre, parvenait à déboucher les bouteilles d’une seule main. Continuer la lecture
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Il y a toujours quelque chose de sombre dans les films de Hayao Miyazaki. Des forces obscures qui viennent ternir le rêve, l’essence du mal infusant son venin dans les coins. Dans l’avant-dernier film, « Le vent se lève », les prémices de la guerre mondiale étaient constitutifs de la trame principale. La présence de bombardiers au vol lourd et sonore faisait que ce n’était pas vraiment pour les enfants. Après « Mon voisin Totoro » (1988), tabac planétaire, bienveillant et bienfaisant, les films de Miyazaki sont devenus plus manichéens et plus réalistes par voie de conséquence. Il y a le rêve et le cauchemar, ce dernier suintant par les interstices d’un mur comme une muqueuse noire, surgissant tout à coup en escadrille de derrière un gros cumulo-nimbus. L’enchantement est dominateur heureusement, mais au milieu des fleurs et des bons sentiments, Miyazaki disperse des panneaux d’avertissement. Ce faisant il colle à son époque et s’il n’oublie pas de rappeler que le totalitarisme est toujours tapi, il se sert aussi de sa caméra et de ses dessins pour cultiver la veine féministe. Comme dans « Porco rosso » (1992), film dont on parle moins que les « Chihiro » et autres « Princesse Mononoké ».
Il n’y a que quelques pas à faire, juste une rue à traverser: lorsque l’on quitte le musée d’Art moderne afin de se rendre en face, au palais Galliera. Où l’on peut voir actuellement une belle autant que sensible exposition sur le travail du photographe de mode Paolo Roversi. Le tirage qui a été choisi pour orner l’affiche de l’exposition, bénéficie à l’intérieur d’un endroit à part, tout en rouge et noir, comme un écrin, tel un boudoir de luxe. Elle est titrée « Molly, Chanel, Vogue Italia ». Le talent du photographe s’exprime ici devant une silhouette complexe, riche, extravagante. Mais l’exposition contient aussi des photographies de femmes aux corps entièrement dépouillés qui montrent que l’artiste italien a quoiqu’il arrive la main fiable et le regard inspiré. Ce sont souvent des clichés verticaux ce qui s’explique par le fait qu’ils doivent figurer sur la couverture de magazines dont le format de base est la hauteur. Et donc le plus souvent nous sommes face ici à de la verticalité, comme la photo qu’il prit de la princesse Kate Middelton en 2022 et qui constitue si l’on peut dire, une sorte de trophée (de plus) dans sa carrière.
Comme dans la vie, comme dans un film et comme dans une vie d’artiste, il arrive un jour un point de bascule, un changement du rapport de force, quelque chose qui fait que tout va changer. Dans le parcours de Jean Hélion (1904-1987), ce type d’événement s’est également produit. L’exposition qui lui est consacrée en ce moment-même au Musée d’Art Moderne de Paris a été conçue de façon chronologique, méthode banale mais efficace permettant de situer cette rupture. Son existence d’artiste a donc été scindée en deux. Voilà un homme qui a commencé par l’abstraction la plus pure et qui, à un moment donné, a basculé dans le figuratif hyperréel. Dans un genre qui n’est pas sans faire penser à de la bande dessinée, comme cet « Allumeur » ci-contre, réalisé en 1944. C’est à partir de 1939 qu’il accomplit son virage à cent quatre-vingt degrés avec une période d’abstinence due successivement à sa mobilisation, sa captivité, son évasion et ce que l’on pourrait appeler une forme de résurrection, a minima de changement de cap. Une évolution radicale qui n’a pas été forcément bien perçue par le public, par ses pairs, un peu comme un musicien qui passerait du classique au free jazz sans préavis.
Malgré l’étroitesse et la modestie des lieux on se serait cru paraît-il dans le « palais d’un roi ». Chez lui boulevard Saint-Germain, sous les toits, Apollinaire se livrait à l’une de ses occupations favorites: manger. Comme la lumière était basse, ainsi que le racontait l’écrivain Philippe Soupault en 1936, « on ne voyait plus que sa joie, son sourire et son appétit ». Il aimait dans le désordre, les escargots, les caramels, les glaces, les concombres, avec une préférence pour les tripes et les petits fours glacés. Peu de temps après André Billy (1), Philippe Soupault lui aussi, ira de son ode au poète disparu en 1918. Qui fut publiée en 1926 (1923 pour Billy) dans un mince ouvrage tiré à seulement 548 exemplaires et contenant quelques poèmes à l’époque inédits. Hormis deux coups de griffes dus aux positions quelque nationalistes d’Apollinaire lorsque celui-ci revint de la guerre, il faut constater que page après page tout n’est qu’affection, avec cette écriture délibérément abordable, sans vocabulaire compliqué, que pratiquait Soupault. Il faut dire qu’ils avaient 17 ans d’écart de leur vivant. L’un périt de la grippe espagnole après avoir été blessé par un éclat d’obus, l’autre faillit y passer après avoir sur le front, été désigné comme cobaye pour un vaccin expérimental.
Au-dessus de la route qui mène de Dijon à Beaune, au cœur de la prestigieuse Côte de Nuits, on ne peut le manquer. Le château du Clos de Vougeot surgit, souverain, au milieu d’un clos de vignes de 50 hectares, soit la plus grande zone bourguignonne classée Grand cru. S’il ne possède aujourd’hui plus de vignes et ne commercialise plus de vin, le château se visite. En février, alors que la Bourgogne sommeille en attendant que la vigne se réveille, la visite du château sans aucun touriste laisse une impression intense. Depuis le cellier du XIIe s, ce sont 9 siècles d’Histoire que l’on traverse dans les arômes d’un des crus les plus prisés au monde. L’histoire du Clos de Vougeot commence en 1098, quand, à quelques kilomètres de l’actuel château, Robert de Molesmes, fonde l’Abbaye de Cîteaux, berceau de l’Ordre Cistercien. Pour les moines convers, il s’agit de concilier deux exigences de la règle de Saint Benoît: vivre du travail de ses mains et dans l’enceinte du monastère. Si les moines doivent faire vœu d’obéissance, pauvreté et chasteté, l’abstinence vinicole n’est, dieu merci, pas requise. Pas de monastère sans vin. Dans une région aux sols propices à la viticulture, le choix est donc tout fait.
Comment mieux évoquer Georges Perec qu’en se rendant sur quatre lieux qui furent essentiels dans sa vie et son œuvre? Écrivain inclassable entre tous, disparu à quarante-six ans, n’est-ce pas lui qui entreprit en 1969 une œuvre bien mystérieuse appelée «Lieux»? «Sur les lieux de Georges Perec» est la belle idée de Claire Zalc, «historienne des migrations et des persécutions» comme elle se définit, qui vient de consacrer sur France Culture à l’écrivain oulipien (1) une série de quatre émissions: «Rue Vilin», «Le moulin d’Andé», «Ellis Island», «Lubartow». Elle s’en explique: «Être né quelque part, être né autre part, les lieux sont des marqueurs, des stigmates parfois. Or au cours de mes enquêtes, je ne cesse de croiser Georges Perec, fils d’émigrés juifs polonais réfugiés en France, orphelin de la Shoah.» Voilà, c’est dit. Et cela explique sûrement l’émotion profonde qui nous saisit à l’écoute de toutes ces voix apportant leur témoignage rythmé par la musique, à commencer par le piano de Schubert et de Schumann…
Objectivement, l’œuf-mayo constitue un barbarisme diététique. Affichant plus de 160 calories aux 100g, certes dépourvu de glucides, mais dégoulinant de lipides, il fait froncer le sourcil du nutritionniste le moins sourcilleux. La plupart des brasseries le traitent en scélératesse: jaune sec et sur-cuit, mayonnaise industrielle, et le flanquent d’une pathétique feuille de laitue aux abords de la flétrissure. Tant et si bien qu’il s’en est allé de l’offre des menus, frappé de ringardise. Conscient du risque de disparition de ce fleuron du répertoire gastronomique, le journaliste Claude Lebey (1) a parrainé, en 1987, une association de sauvegarde de l’œuf mayonnaise: afin de promouvoir et préserver ce patrimoine culinaire français. Curieusement, si on trouve, dans le Guide d’Auguste Escoffier (1903) des œufs durs couverts de béchamel ou de sauce Mornay, il ne répertorie aucune association avec la mayonnaise. En revanche, un nommé Antoine Bautté, cuisinier cosmopolite, dans un traité intitulé «Mille manières de préparer les œufs (1906)», les envisage, curieusement affublés d’anchois, de câpres, d’olives, de lamelles de betterave, dressés sur des croûtons. Mais il faudra attendre les années 1920 pour le voir apparaître dans les propositions des bistrots ou des bouillons, en alternative au hareng pommes à l’huile. Un plat populaire et peu coûteux.
Quelques luthiers ont possiblement dû s’étrangler depuis les années vingt face aux deux guitares assemblées par Picasso, actuellement visibles au sein du musée parisien. Comme sur celle achevée en 1926, les matériaux utilisés sont la toile, les clous, les pitons. Nous sommes loin des fins bois d’érable, d’épicéa ou encore l’acajou dont on se sert afin d’assembler une guitare en vrai. Il nous est précisé que l’utilisation des clous peut en l’occurrence rappeler les poupées votives Kongo Nkisi Nkondi (bassin du Congo ndlr) dont le style intéressait les surréalistes en général et Picasso en particulier. Dans la seconde guitare que l’on ne voit pas ici, l’artiste a aussi utilisé de la corde, une serpillère et du papier journal. Louis Aragon parlera à ce sujet de « vrais déchets de la vie humaine, quelque chose de pauvre, de sale, de méprisé ». La recherche du beau n’était il est vrai, pas particulièrement parmi les objectifs poursuivis par l’une des grandes figures de proue du cubisme. En 1905 déjà, Guillaume Apollinaire avait écrit à son propos que « plus que tous les poètes, les sculpteurs et les autres peintres, cet Espagnol nous meurtrit comme un froid bref ». Implacable commentaire qui allait droit au but, valable y compris des années après. L’art révolutionnaire en cours n’était pas fait pour plaire mais pour atteindre, tel un strike sur un groupe de quilles de bowling.
Il y a tout juste 50 ans, le label RCA publiait « Rock and Roll animal », un disque du compositeur et interprète américain Lou Reed (1942-2013). Et il se trouve que sur cet album live où deux guitaristes électrocutaient les auditeurs de riffs croisés, l’auteur évoquait sa vocation à travers les lignes d’une chanson intitulée tout simplement « Rock and Roll ». Un texte qui raconte deux histoires équivalentes. L’une fait allusion à l’une de ses amies d’enfance qui vit sa vie changée par la découverte à la radio, de musique rock. Et Lou Reed a indiqué que cette chanson parlait aussi de lui. Que celui qui était encore un jeune homme tyrannisé par les soins psychiatriques en raison de son homosexualité et désappointé par le décor d’une société qui ne lui correspondait pas, entendit également du rock à la radio. Sans cela, « il n’aurait pas su qu’il y avait de la vie sur (la) planète ». Un appel d’air qui en fit l’un des artistes pop les plus marquants du 20e siècle. Malraux avait dit, non pas à propos de Lou Reed (pas exactement sa tasse de thé, le pauvre), mais à propos de la vocation artistique, qu’elle ne « naissait pas de l’émotion éprouvée devant un spectacle, mais devant un pouvoir ».